Critique Arcadie

Mise en scène Sylvain Maurice

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Au Théâtre de Sartrouville, Sylvain Maurice met en scène Arcadie, adapté du roman d’Emmanuelle Bayamack-Tam, prix du Livre Inter 2019. Seule en scène, Constance Larrieu, formidable, offre au personnage principal sa vitalité et sa fraîcheur. 

 

Après la représentation ... Entretien avec Sylvain Maurice & Constance Larrieu

L’amour en héritage

Arcady est le nom que porte le chef d’une communauté. Le phalanstère qu’il dirige accueille nombre d’inadaptés que le monde moderne et son cortège de stress et de technologies effraient. Entouré de prairies, de forêts, et d’animaux paisibles, le lieu évoque le mythique pays où les Arcadiens vivaient un bonheur simple et un amour sans passion, ni violence. A l’instar du pays idéalisé par les Grecs, Liberty House se veut un havre bucolique de paix et de tolérance.

L’héroïne du roman d’Emmanuelle Bayamack-Tam a tout juste quatorze ans lorsqu’elle découvre l’endroit qu’elle voit comme un paradis. Farah prend possession du nouveau territoire qui s’offre à elle avec volupté et jubilation. Bientôt, l’adolescente sent naître le désir en elle. Subjuguée par le « gourou » qui prône l’amour libre et sait en profiter, elle n’a de cesse d’attirer celui qu’elle convoite. Un rendez-vous chez une gynécologue va faire vaciller certaines de ses convictions. L’examen révèle que son corps largement androgyne possède des attributs féminins atrophiés et tend à se viriliser. 

L’adolescente commence alors une grande enquête loufoque qui doit l’amener à comprendre ce que signifie être une femme ou être un homme. La fin de l’innocence vient le jour où la communauté, qui se disait libertaire et généreuse, rejette d’une seule voix, un jeune migrant. Farah quitte Liberty House mais acquiert sa propre liberté, celle d’être elle-même, avec pour tout bagage, sa vitalité, et la conviction chevillée au corps que « l’amour existe » .

Lumineuses métamorphoses

Quand Sylvain Maurice a lu Arcadie , « il a su que c’était un roman pour lui. Parce qu’il racontait le destin d’une jeune ado et le ton, assez inédit, un peu provoquant, le touchait profondément » . Le travail d’adaptation n’en est pas moins difficile. Ne retenir que quinze pour cent d’une oeuvre littéraire impose des choix que le plateau, seul, valide. Pari réussi pour cette adaptation sensible et haute en couleurs.

Sur scène, le monde onirique, étrange et inquiétant de Liberty House est matérialisé par une boite dans laquelle le personnage principal évolue. Cet espace contraint, petit théâtre dans le théâtre, suggère les métamorphoses psychiques et physiques de la jeune fille. Au terme de son parcours, Farah sera capable d’arracher les lambeaux blancs qui constituent le tapis de sol, comme un animal qui se sépare de son ancienne peau. Elle franchit également les frontières sécurisantes de la boite pour aller, en avant scène, vers un monde plein de promesses.

A l’intérieur du castelet, les lumières, encore une fois magnifiques de Rodolphe Martin, sculptent le corps du personnage et accompagnent ses mutations. Sur le cyclorama de fond de scène, comme sur le sol, les couleurs franches ou diffuses construisent une géographie chatoyante et mouvante. Ainsi que le précise Sylvain Maurice, l’espace a été pensé « comme une camera obscura, dans laquelle on pouvait déployer les lumières de telle façon qu’on recompose en permanence l’espace et aussi le corps de Farah qui apparait toujours singulier. »

La part de l’enfance

Farah est interprétée par Constance Larrieu. Seule en scène, la comédienne est merveilleuse. Elle parvient à faire exister la part d’enfance du personnage, son innocence, son ingénuité et son fantasque regard sur le monde.

Pour Constance Larrieu, le travail avec Sylvain Maurice sur le personnage a consisté à « chercher sa capacité à s’étonner, à découvrir les choses au présent, à tenter de n’avoir aucun préjugé, ni sur son corps, ni sur son développement personnel, mais de sentir les choses arriver, les unes après les autres » . La comédienne a « essayé d’aborder chaque situation, l’une après l’autre, et de voir comment cette somme de situations créait finalement le personnage de Farah » .

L’actrice prend également en charge l’incarnation fugace d’autres personnages du roman : le maître des lieux, Arcady, la gynécologue, certains membres éclopés de la communauté, Daniel, son ami homosexuel, Maureen, rencontrée en discothèque… Autant de figures qui prennent vie par une stylisation maîtrisée et précise du corps.


Découverte dans La 7ème fonction du langage, déjà mise en scène par Sylvain Maurice, puis, dans La Fonction de l’orgasme, qu’elle avait monté avec Didier Girauldon, Constance Larrieu prouve encore, dans Arcadie, son talent. La fraîcheur et la finesse de son jeu sont un pur bonheur.

Les LM de M La Scène : LMMMMM


Arcadie

texte Emmanuelle Bayamack-Tam ( éditions P.O.L)

adaptation et mise en scène Sylvain Maurice
avec Constance Larrieu
lumière Rodolphe Martin
création sonore David Bichindaritz
costumes Olga Karpinsky
collaboration à la scénographie et régie générale Alain Deroo
régie lumière Daniel Ferreira
régie plateau Margaux Chevalier
habillage Mélodie Barbe
maquilleuse, perruquière Cordelia Beaudequin

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