Critique VIDER VÉNUS

Chorégraphie Gaëlle Bourges

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Au Carreau du temple, la chorégraphe Gaëlle Bourges présente le triptyque Vider Vénus, composé de Je baise les yeux, La Belle indifférence et Le Verrou. Les trois pièces mettent en question le regard posé sur le corps nu des femmes. 

Les objets du désir

Les Vénus alanguies, aux corps d’albâtre, abondent dans la peinture occidentale. Giorgione, Titien, Manet organisent leur tableaux pour susciter le désir chez celui qui regarde. La déesse peinte offre sa nudité dévoilée et le spectateur jouit de cette femme exposée, à sa portée.

Les trois pièces chorégraphiques imaginées par Gaëlle Bourges interrogent les liens entre représentation, nudité et désir. Le titre est programmatique. Vider Vénus apparaît comme une injonction à expurger de l’image, ce qui l’idéalise. Il s’agit de déconstruire les procédés qui entrelacent le spectacle d’un corps nu de femme et l’excitation qui en résulte.

En ouverture, une voix off explique que les trois pièces ont été conçues entre 2009 à 2012 et nourries par l’expérience de travailleuses du sexe des trois interprètes. Le triptyque se présente, comme il a été construit à l’époque. Cependant, la voix précise que si le spectacle devait se faire maintenant, il le serait différemment. Est-ce à dire que la vague #metoo aurait rendu la parole plus âpre et radicale ? On ne peut que se poser la question.

Le nu dans tous ses états

Je baise les yeux (2009)  s’apparente à un colloque. Le public dans la salle est ainsi faussement convié à y participer en tapant 6 13 13 pour poser ses hypothétiques questions. Autour d’une table rectangulaire nappée de noir, un homme (Gaspard Delanoë), en costume, mène l’entretien. Il interroge trois ex-stripteaseuses. Non sans humour, Marianne Chargois, Alice Roland et Gaëlle Bourges, fortes de leur vraie expérience dans le théâtre dit érotique, répondent, seins nus, en spécialistes et techniciennes de la construction du désir. Dans le théâtre érotique, c’est par les yeux que les clients « baisent » avec celles qui captent leurs regards.

La belle indifférence (2010), par l’esthétisme soigné des images, noue un rapport intime entre le corps dénudé des trois modèles sur scène et les tableaux des grands maîtres de la peinture occidentale. Au ralenti, sur une haute estrade qu’elles ont elles-mêmes drapée de blanc, les trois danseuses deviennent des Vénus d’Urbin de Titien ou des Olympia de Manet. Avec délicatesse et souplesse, le corps des interprètes se meut dans un temps qui ne semble pas pouvoir s’arrêter. Parallèlement à cette « belle » image, en voix off, des témoignages de prostituées se font entendre où il est question de clients, de sperme, d’éjaculation, de putes et de salopes. Puis, telles Les Trois grâces de Raphaël, les Vénus se saisissent d’une pomme. Regard public, elles la croquent et mettent sous cloche un tampon hygiénique. Mythe et réalité crue se télescopent tandis que la musique d’Olivier Toulemonde amplifie la violence ironique du tableau.

Le Verrou (2012) renvoie de façon explicite au tableau célèbre de Jean-Honoré Fragonard. Peinte au XVIIIe siècle, la toile met en scène un homme qui maintient une femme dans ses bras tandis qu’il ferme le verrou de la chambre. Érotisme et contrainte se mêlent. Le décor est partiellement reproduit sur scène. Le drapé de linges blancs, l’épais tissu rouge dégoulinant sur le lit, la rose posée, la cruche sont autant de rappels du tableau original. Entre le bras de l’homme défilent les trois femmes. En petites tuniques courtes et blanches, chaussées de bottines montantes, elles apparaissent comme les victimes sacrificielles d’une agression qui se répèterait de siècle en siècle.


Vider Vénus de Gaëlle Bourges réussit à dénaturaliser le désir pour en faire un objet de questionnement à froid et invite à regarder le corps nu des femmes autrement. La démarche intéresse par son approche tout à fait personnelle.

Les LM de M La Scène : LMMMMM


VIDER VÉNUS

Gaëlle Bourges

Le Carreau du temple

Conception : Gaëlle Bourges –

Avec et co-écrit par : Gaëlle Bourges, Marianne Chargois, Gaspard Delanoë, Alice Roland –

Lumière : Béatrice Le Sire –

Musique : Olivier Toulemonde

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