Critique théâtre Ecrire sa vie

mise en scène Pauline Bayle

3 931
Critique écrire sa vie

La dernière création de Pauline Bayle, Ecrire sa vie, cherche dans l’écriture de Virginia Woolf la source qui irrigue l’enfance. Les mots se déversent, les voix tentent de maintenir à flot une poésie marquée par la mort. Les belles images font mouche mais, la pesanteur de la « seconde partie » alourdit l’élan et le bondissement du début. 

Vagues à l’âme

Le dispositif bi-frontal place, dès le début, une partie du public sur le plateau. Comme les personnages, celui-ci participe à la fête qui doit célébrer le retour de Jacob et son anniversaire. On offre aux « invités » de la citronnade. On leur donne aussi un exemplaire de la chanson qu’il faudra reprendre ensemble à son arrivée. Il s’agit de la reprise d’un hit des Beatles  « Hey Jude » , dont les paroles ont été adaptées au prénom de l’ami attendu : « Jacob, don’t be afraid / Take a sad song and make it better »

« Prendre une chanson triste et la rendre meilleure  » ,  s’applique aussi à l’écriture de Virginia Woolf qui tente d’abolir les souffrances du réel. En cela, toute la première partie d’Ecrire sa vie de Pauline Bayle réussit à recréer la chaleur des amitiés enfantines. Les comédiens (Hélène Chevallier, Guillaume Compiano, Viktoria Kozlova, Loïc Renard, Jenna Thiam, Charlotte Van Bervesselès) diffusent une fraîcheur et une gaieté qui ressuscitent l’enfance et sa magie. Sur une longue table blanche sont disposés des mets, des fleurs. Au sol, des galets blancs, évoquent la mer que les vagues peuvent venir caresser. L’un des convives apporte et tend au-dessus de la scène, trente ballons rouges gigantesques, comme autant d’années à fêter.

Ensemble, les acteurs se lancent avec entrain dans une entreprise joyeuse et mélancolique pour faire revivre les souvenirs, et peut-être, le bonheur perdu. Ils partent à la recherche de leur grotte natale, courent à perdre haleine après leur enfance, s’arrêtent et se lancent dans une chorégraphie rythmée où le sol est frappé et le corps engagé. Se fondre ensemble en une seule chose est le mot d’ordre du moment. Les six personnages partagent la même exaltation à recréer le royaume qui, ils le savent, a pourtant disparu. Chacun le sait et l’exprime : la mélancolie, les ressentiments et la peur guettent.

La terre hostile

La scénographie, dans un second temps, donne à voir l’isolement terrible qui étreint les personnages. Une sirène retentit. Les spectateurs, qui étaient douillettement installés sur le plateau, sont conduits avec précipitation vers les gradins. Toute proportion gardée, comme ceux qui ont été malmenés par la guerre, ils sont obligés de fuir le lieu où, une minute avant, ils venaient de chanter. Ils changent de rive et partagent désormais le sort des autres. Ils regardent les ballons éclater, ils contemplent les ravages de l’histoire.

Jacob est mort. Ses amis dépossédés à jamais d’une enfance commune, vont tenter de continuer à vivre. Des années ont passé. Le récit de sa vie devient le moyen de survivre et d’exister encore face aux autres. Ils sont seuls sur une terre hostile. Ils habitent un royaume dévasté par la mort et le temps qui abime. Chaque personnage adopte alors le récit d’un autre, comme si, se glisser dans la peau de l’ami(e), pouvait ressusciter ce qui a été.

Il est dommage que les longs soliloques alourdissent le rythme qui prévalait avant. La musicalité s’efface et laisse place à un exercice pesant et répétitif. Pourtant, certaines belles images retiennent l’attention. La table de réception, dévastée, devient un autel. Des flammes crépitent en son centre, laissant une odeur acre se propager. Quelque chose existe hors du pouvoir des vivants. Que la parole ne peut pas dire, malgré les flots de mots qui interrogent la mémoire et le sens de l’histoire.


Pour Virginia Woolf, l’écriture tente de masquer les vides et de pallier une réalité insaisissable et douloureuse. L’adaptation et la mise en scène de Pauline Bayle parvient, pour un temps, à faire voir et entendre la poursuite d’un bonheur perdu et les vagues amères qui bouleversent ceux qui sombrent quand le réel les blesse.

Les LM de M La Scène : LMMMMM

Ecrire sa vie

Festival d’Avignon 2023

D’après l’œuvre de Virginia Woolf

Avec Hélène Chevallier, Guillaume Compiano, Viktoria Kozlova, Loïc Renard, Jenna Thiam, Charlotte Van Bervesselès
Adaptation et mise en scène Pauline Bayle
Scénographie Pauline Bayle, Fanny Laplane
Lumière Claire Gondrexon
Costumes Pétronille Salomé
Musique Julien Lemonnier
Son Olivier Renet
Assistanat à la mise en scène Isabelle Antoine
Accessoires Éric Blanchard
Regard extérieur chorégraphie Madeleine Fournier
Construction des décors Éclectik Scéno
Régie générale et lumière Renaud Lagier, Antoine Seigneur-Guerrini, Régie son Tom Vanacker, Régie plateau Lucas Frankias
Assistanat aux costumes Nathalie Saulnier


Vous souhaitez lire une autre critique théâtre de M La Scène sur un spectacle mis en scène par Pauline Bayle ? Celle-ci pourrait vous intéresser : Critique Illusions perdues, mise en scène Pauline Bayle

laissez un commentaire

Nous utilisons des cookies pour vous garantir la meilleure expérience sur notre site. Si vous continuez à utiliser ce dernier, nous considérerons que vous acceptez l'utilisation des cookies. Accepter En savoir plus