Critique House

Mise en scène Amos Gitaï

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Au Théâtre National de la Colline, House, d’Amos Gitai retrace l’histoire d’une Maison de Jérusalem Ouest au travers des récits de ses occupants successifs, Arabes et Juifs, Palestiniens et Israéliens. Les strates de la mémoire, passée et présente, sont interrogées par une parole plurielle.

Critique House

Le bâti  de la mémoire

« House » , le titre choisi par Amos Gitai ne comporte pas de déterminant. Si l’histoire d’une maison est bien racontée à travers les récits de ses différents occupants, il s’agit avant tout d’évoquer un lieu traversé par l’Histoire et construit sur des strates de mémoire. 

A Jérusalem Ouest, rue Dor Dor ve Dorshav, cette maison existe. « dorshav » , comme  le précise l’une des habitants, vient de « midrash » en hébreu, qui veut dire interprétation. Le nom de la rue signifie « chaque génération trouve son interprétation » , crée sa vérité. Ainsi chacun des occupants ou artisans liés à la « House »  va-t-il témoigner de sa vision de la maison.

En 1948, la Maison appartenait à Mahmoud Dajani, un docteur. Devant l’avancée des troupes israéliennes, les anciens propriétaires, comme d’autres, ont abandonné leurs biens. L’État les a alors saisis pour y installer des familles d’immigrants, souvent des survivants de la Shoah. Depuis, la maison a encore changé plusieurs fois de propriétaires et d’aspect, se modelant en fonction de l’Histoire et de celle de ses occupants.

Amos Gitai donne la parole à chacun des protagonistes. L’assemblage de ces fragments de vécu passés et contemporains, devient le bâti de la mémoire.

Retailler la pierre

Le spectacle s’ouvre sur l’entrée de deux ouvriers (Atallah Tannous et Minas Qarawany). En avant-scène, chacun d’eux enfile des gants puis, attaque les pierres ou briques qui sont disposées devant lui sur un chariot. A coups de maillet, ils frappent, entaillent et dégrossissent. Le son assourdissant de leur travail devient un rythme musical qui se mêle bientôt à la mélodie du santour que joue Kioomars Musayyebi, placé tout en haut d’un des échafaudages qui symbolisent la maison en perpétuelle évolution. 

La lumière dans la salle baisse alors. Puis, le spectateur découvre un document d’archive à la fois personnel et théâtral. Comme nous, les deux « stonecutter » , suspendant leur activité, le regardent, dos public.  Il s’agit d’une ancienne captation de l’immense comédienne Jeanne Moreau lisant une lettre de la mère d’Amos Gitai. Ce document était déjà présent dans , YITZHAK RABIN : CHRONIQUE D’UN ASSASSINAT, présenté au Théâtre du Châtelet en 2021. Il témoigne à la fois de l’importance du souvenir, de l’attachement à la terre d’Israël, et d’une inquiétude qui perdure par-delà les années. « Qu’adviendra-t-il de vous, les jeunes, la chair de notre chair, qui êtes restés et qui vivez le rêve déçu ?  Surmonterez-vous les ténèbres qui nous enveloppent ?  » 

La vidéo, à nouveau questionnée, s’inscrit dans le travail artistique d’Amos Gitai. Cinéaste et metteur en scène, il semble utiliser les images d’archives, les témoignages, les photographies intimes et d’époque, pour interroger une mémoire et une histoire mouvantes. A l’instar d’un tailleur de pierre qui œuvre sur la matière, Amos Gitai revient sans cesse sur son ouvrage pour en saisir et en polir toutes les aspérités et ne jamais se satisfaire d’un premier coup de maillet.

D’une image à l’autre

Des extraits de films du réalisateur sont projetés. House ( 1980). Une maison à Jérusalem (1977), New from Home/New from House (2005) , Kippour ( 2000), et Journal de campagne ( 1982) .  Chacune de ces images paraît s’inscrire dans un projet à la fois artistique et humain, qui dans sa globalité tente d’aider à la construction d’une compréhension du monde.

House, objet théâtral organisé en sept actes, se déploie également dans cette création au long cours où la mémoire est constamment revisitée. Mais, ici, il semble qu’il y ait une sorte de désenchantement. Dans Yitzhak Rabin : chronique d’un assassinat, le spectateur avait l’impression qu’un oratorio intime et puissant, en faveur du chant, de la parole et de la paix s’élevait. Or sur le plateau de House, si différentes langues peuvent être entendues ( arabe, français, hébreu, yiddish, anglais), il semble qu’elles ne communiquent plus. Chacun des protagonistes se présente au public (« Je suis Claire … »  « My name is Haim …) mais aucun d’eux ne paraît dialoguer avec les autres.

Les acteurs (dont Irène Jacob, Micha Lescot ou Bahira Ablassi, très émouvante dans le rôle de Rebecca) livrent les témoignages les uns après les autres. On regrettera qu’il y ait parfois des longueurs, voire des redites dans les propos. On aurait aimé que le spectacle soit plus mouvant à l’image du décor où les échafaudages, maniés à vue, glissent d’un endroit à l’autre. A moins que ces structures métalliques ne soient aussi qu’une représentations métaphoriques d’une prison dont les témoins convoqués sur scène ne puissent plus sortir. Parfois, le chant permet néanmoins de s’élever hors des murs que les hommes bâtissent. Notamment, lorsque la très belle voix de la soprano Dima Bawab résonne.


House mis en scène par Amos Gitai touche par sa volonté à s’approcher du réel avec l’humilité d’un tailleur de pierre. La mémoire est sa matière. Au spectateur, fort de sa connaissance, d’appréhender et d’interpréter l’architecture parcellaire de la maison.

Les LM de M La Scène : LMMMMM



House

Théâtre National de la Colline

Texte et mise en scène Amos Gitaï
avec Bahira Ablassi, Dima Bawab, Benedict Flinn, Irène Jacob, Alexey Kochetkov, Micha Lescot, Pini Mittelman, Kioomars Musayyebi, Menashe Noy, Laurence Pouderoux en alternance avec Riselène Pince , Minas Qarawany, Atallah Tannous, Richard Wilberforce
assistanat à la mise en scène Talia de Vries et Anat Golan
adaptation texte Marie-José Sanselme et Rivka Gitaï
scénographie Amos Gitaï assisté de Philippine Ordinaire
costumes Marie La Rocca assistée d’Isabelle Flosi
lumières Jean Kalman
son Éric Neveux
chef de cœur Richard Wilberforce
collaboration vidéo Laurent Truchot
maquillage et coiffures Cécile Kretschmar
préparation et régie surtitres Katharina Bader
construction du décor atelier de La Colline – théâtre national


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