Critique Coriolan

Mise en scène François Orsoni

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Au Théâtre de la Bastille, François Orsoni met en scène Coriolan, une des pièces les moins jouées de William Shakespeare. La tragédie romaine du dramaturge anglais devient un étonnant objet pour dénoncer la politique spectacle.


Après la représentation ... Entretien avec François Orsoni, metteur en scène


Coriolan : la comédie du pouvoir

Caius Marcius est un personnage historique dont on trouve traces, notamment chez Tite-Live ou Plutarque. Ce général romain tiendrait son surnom « Coriolan »  de la prise de la cité de Corioles. Impulsif, enclin au mépris, ce guerrier redoutable a défendu Rome à de nombreuses reprises. Shakespeare le décrit héroïque face aux Volsques, qui ont à leur tête Aufidius, l’ennemi de Caius.

C’est auréolé de sa gloire et de son courage que Coriolan se présente devant le peuple. Sa mère le pousse à devenir Consul. Mais, l’orgueilleux Coriolan refuse de se prêter à la « comédie » qu’il faut jouer pour être élu. Son intransigeance et son dédain affiché le font échouer aux portes du pouvoir. Il est banni par les Plébéiens. Par dépit, le chef de guerre se met au service de son ennemi Aufidius afin de se retourner contre Rome. L’illustre général meurt sous les coups des conjurés Volsques. Seul l’amour filial qu’il porte à sa mère aura fait vaciller le héros.

Shakespeare place sa tragédie à un moment crucial pour la jeune République romaine. Le peuple vient d’acquérir une représentativité mais, celui-ci ne semble pas encore apte à discerner la vérité derrière les mensonges. Suffit-il d’exhiber ses cicatrices, acquises au combat, pour prouver sa haute disposition à gouverner ? Se draper dans une cape d’humilité, pour dissimuler un orgueil flagrant, est-ce un procédé respectable pour récolter des voix ? Coriolan est un être frustre, arrogant, une bête de guerre, qui refuse les séductions faciles des démagogues. Profondément ambigu, le personnage n’en demeure pas moins extrêmement moderne, en ce qu’il tend un miroir vers la comédie que peuvent jouer les puissants, pour manipuler ceux qui doivent les élire.

La politique spectacle

François Orsoni, à travers sa mise en scène de Coriolan, questionne l’exercice du pouvoir et la liberté détenue par le peuple pour prendre en charge son destin. La frontalité est de mise. Aux spectateurs qui reçoivent cette parole de forger leur propre opinion. Le peuple n’est pas sur scène, mais face aux acteurs. Pour François Orsoni, la pièce de Shakespeare offre plusieurs lectures. Entre la tyrannie de Coriolan ou la versatilité du peuple, « l’équilibre n’est pas simple à maintenir » . Ce qui l’intéressait était de montrer les « fonctionnements »  à l’oeuvre et de s’adresser aux spectateurs.

Sur scène, le parallèle entre politique et spectacle s’affiche. La scénographie (Natalia Brilli) renvoie à un univers kitch. Une lumière bleutée éclaire les statues et colonnes en stuc, placées devant deux rangées de gradins. En arrière plan, la photographie d’une discothèque « cheap » renforce l’idée du clinquant de mauvais goût. C’est l’ « Acropol » , sans « e » , pour amuser les foules le samedi soir. Quand Coriolan se présente devant le peuple, « Corioland » clignote, à l’endroit et à l’envers, à cour et à jardin. Pendant les différents discours électoraux, les micros sont sortis, les bateleurs vont dans la salle et font le show. 

Peut-être un peu trop d’ailleurs. La séquence s’étire. Et on s’interroge sur la nécessité de dénuder un acteur. On comprend que pour se faire élire, il faut parfois pratiquer la danse du ventre et racoler. Mais, le  ridicule est patent et ne fonctionne pas.

Une distribution convaincante

Cinq acteurs prennent en charge les nombreux personnages de la tragédie. Alban Guyon offre une belle corporalité au personnage de Coriolan. La force brute du chef de guerre et son sarcasme convainquent. Estelle Meyer campe Volumnia, l’inflexible mère du héros, avec dignité. A Jean-Louis Coulloc’h revient la tâche d’incarner le peuple, « la multitude aux mille têtes« , sujette aux séductions faciles et aux revirements d’opinion. 

Sur le plateau, Éléonore Mallo réalise des bruitages en direct. Elle accompagne notamment les scènes de combat et sonorise les cavalcades de Coriolan tandis qu’Alban Guyon enfourche des chaises. Véritables trouvailles de mise en scène, ces bruitages donnent matière à ce qui est joué et séduisent par leur cocasserie évocatrice qui renvoie à l’univers des anciens péplums italiens au cinéma. Pendant ces moments, le charme, associé au burlesque, opère.


Au Théâtre de la Bastille, Coriolan de William Shakespeare, mis en scène et adapté par François Orsoni étonne et ne laisse pas indifférent. 

Les LM de M La Scène : LMMMMM


Coriolan

Théâtre de la Bastille  du 12 septembre au 7 octobre 2022

Texte de William Shakespeare

Traduction Jean-Michel Déprats

Mise en scène François Orsoni

Avec Jean-Louis Coulloc’h, Alban Guyon, Thomas Landbo, Estelle Meyer, Pascal Tagnati

Bruitage Éléonore Mallo

Lumières François Orsoni Antoine Seigneur-Guerrini

Scénographie et costumes Natalia Brilli


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