Critique Le Grand Inquisiteur

mise en scène Sylvain Creuzevault

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Le Grand Inquisiteur, d’après Dostoïevski, mis en scène par Sylvain Creuzevault, à L’Odéon, revendique le chaos comme force de liberté et d’espoir. Iconoclaste, verbeux, le spectacle réjouit, notamment, par sa volonté de s’inscrire dans la lignée d’un théâtre politique.

Les forces du chaos

« Dieu éternel / Ainsi soit-il », ces mots, écrits en arc de cercle sur le rideau d’avant-scène, accueillent les spectateurs à leur entrée dans la salle. Mais, conjointement, deux acteurs hissés sur une échelle collent, lettre après lettre, un mot d’ordre : l’appel à l’éternelle rébellion. Les thématiques sont posées. De foi et de révolte, il sera question.

Ces acteurs incarnent Ivan et Aliocha, deux des frères Karamazov. Le poème d’Ivan est le point de départ de la création de Sylvain Creuzevault. Le titre du spectacle, Le Grand inquisiteur, est celui de la cinquième partie du livre V des Frères Karamazov, le roman de Dostoïevski. Ivan y présente l’argument de son poème : Au XVIe siècle, à Séville, tandis que fait rage la plus terrible Inquisition, Jésus décide de visiter ses enfants. Arrêté, emprisonné, silencieux, il fait face aux reproches du grand inquisiteur. Le fils de Dieu a voulu rendre les hommes libres, libres de croire et de le suivre. Or, selon, le haut responsable de l’église, les hommes, par essence, révoltés et faibles, ont besoin d’être dirigés et contraints. Aussi l’Eglise a-t-elle corrigé son oeuvre, « par le miracle, le mystère, et l’autorité. » 

Les Nouveaux césars

Si le début du spectacle met en scène l’opposition entre celui qui revient ( le débonnaire Arthur Igual) et le grand inquisiteur ( l’imposant Sava Lolov), Sylvain Creuzevault, très vite, s’en écarte pour interroger le chaos comme forme de révolte contre les anciens et nouveaux césars. Ceux qui ont accepté Rome et le glaive de César, ceux qui se sont « déclarés les seuls rois de la terre », ceux qui ont convaincus les hommes d’abdiquer leur liberté en leur faveur. 

La scène devient, alors, l’image du chaos. Les époques s’entrechoquent, les accessoires jouent de l’anachronisme, les terribles figures de l’Histoire ressuscitent et partagent le plateau avec les nouveaux césars. Bientôt aux côtés du grand inquisiteur, se tiennent le Pape, Staline, Margaret Thatcher et Donald Trump. Ensemble, dans une scène apocalyptique et grand-guignolesque, ces « puissants » de ce monde se penchent sur le corps de Jésus et l’éviscèrent par le fondement, avant de dévorer ce qui en ressort. Image saisissante et sanglante d’une folie sacrilège.

Le théâtre du doute

Le désordre anarchique est revendiqué par Sylvain Creuzevault. Il s’agit d’expérimenter théâtralement les limites d’une représentation, qu’elle soit, celles d’un récit, ou d’une autorité. En bousculant les codes de ce qui est attendu sur scène, le metteur en scène interroge toute forme « d’inquisition » même celle qui pourrait être artistique. En cela, ce théâtre du doute est vivifiant et politique. 

On regrettera, néanmoins, les longueurs de certains passages. Les reprises des propos de Heiner Müller ( Nicolas Bouchaud, toujours juste) occupent trop le plateau. Comme les inventions de Donald Trump ( Servane Ducorps, impeccable). Quant à l’imitation d’Hitler, elle n’aurait pas lieu d’être. A postériori, qu’y a-t-il de subversif ? Ici, rien que du gratuit qui nuit à l’ensemble. De nouveaux césars, aux tentations autoritaires, nous n’en manquons pas. Au nom de Jésus, et d’intérêts particuliers, que ne continue-t-on à brûler et à détruire ? 

♥♥♥♡♡


Le Grand Inquisiteur  création — du 25 septembre – 18 octobre Odéon 6e d’après Fédor Dostoïevski

mise en scène Sylvain Creuzevault artiste associé 

avec le Festival d’Automne à Paris

avec Nicolas Bouchaud, Sylvain Creuzevault, Servane Ducorps, Vladislav Galard, Arthur Igual, Sava Lolov, Frédéric Noaille, Blanche Ripoche, Sylvain Sounier

 

traduction française André Markowicz
adaptation Sylvain Creuzevault
dramaturgie Julien Allavena
création musicale Sylvaine Hélary, Antonin Rayon
son Michaël Schaller
scénographie Jean-Baptiste Bellon
vidéo Valentin Dabbadie
costumes Gwendoline Bouget
maquillage Mityl Brimeur
masques Loïc Nébréda 

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