La Vallée de l’étonnement mise en scène Sylvain Maurice
Opéra contemporain, La Vallée de l’étonnement doit son livret à Sylvain Maurice et sa composition musicale à Alexandros Markeas. Conçu comme une promenade mentale aux couleurs changeantes, la création lyrique, dirigée par Laurent Cuniot de l’ensemble TM+, interroge l’épaisseur sensorielle de la mémoire.
L’épaisseur sensorielle de la mémoire
Dernière création présentée au Théâtre de Sartrouville, La Vallée de l’étonnement est librement inspirée de The Valley of Astonishment de Peter Brook et Marie-Hélène Estienne. De cette pièce, jouée en 2014 au théâtre des Bouffes du Nord, il reste l’histoire extraordinaire de Sammy Koskas et de sa mémoire.
Le jeune homme est synesthète. A un son, il associe une forme, une couleur. Grâce à cette faculté dont il n’avait pas conscience, il retient, sans effort, des événements du quotidien, des noms, des mots, des nombres. Repéré par un homme de spectacle, Sammy va devenir un phénomène de foire. Chaque soir, il relève des défis mémoriels comme une machine. Jusqu’à saturation du disque dur. Alors, une autre quête commence, celle de l’oubli. Mais, la renaissance viendra par la redécouverte d’une autre mémoire, celle douloureuse mais vraie de son enfance. Coupant comme le diamant, le souvenir déchire la toile qui obstruait le chemin qui conduit à la vallée de l’étonnement.
L’œuvre lyrique imaginée par Sylvain Maurice et Alexandros Markeas, produite par TM+, la compagnie de création musicale dirigée par Laurent Cuniot, s’attache à interroger l’épaisseur sensorielle de la mémoire. Le livret, la composition musicale, l’univers sonore et visuel mettent l’accent sur l’odyssée intime du personnage. « J’ai traversé la vallée à la recherche du phénix » chante Sammy en ouverture. Il lui faudra passer par les écueils aveuglants de sa mémoire performante – celle qu’on exploite et qui s’exhibe à des fins commerciales – avant de retrouver la mémoire intime qui fonde son histoire et son humanité.
Un opéra sensible
L’enfance est un thème qui est souvent présent dans le travail de Sylvain Maurice. Le directeur du CDN de Sartrouville a ainsi mis en scène deux adaptations de La Pluie d’été de Marguerite Duras, autour du personnage d’Ernesto, un « enfant résilient » . Pour Sylvain Maurice, « Sammy est un peu dans cette lignée-là, de quelqu’un qui se construit de façon paradoxale. Cet enfant qui soigne les adultes – c’est ça qu’il avait oublié- , qui soigne sa maman, c’est à la fois une source de grande souffrance, et en même temps cela le constitue comme sujet, et un peu comme magicien » . Et cette magie prend tout son sens au théâtre, lieu par excellence de l’illusion, où il s’agit d’ « enchanter le public » .
La magie, qui concourt à faire de La Vallée de l’entendement un opéra sensible qui enchante, passe notamment par la musique conçue par Alexandros Markeas. Pour le compositeur, la musique « est un miroir, un miroir de toutes les questions de miroir. Car comme pour les événements, on a une mémoire des musiques. La musique qu’on a entendue pour la première fois, la musique qui nous a accompagnés, la musique qui reste dans notre tête, sans savoir d’où exactement » . Cette exploration dans la mémoire des artistes nourrit la traversée intime du personnage principal.
Sur le plateau
Sur le plateau, six musiciens (Julien Le Pape, Florent Jodelet, Nicolas Fargeix, Charlotte Testu, Myriam Lafargue, Vianney Desplantes) sont répartis par groupe de trois de chaque côté d’un grand praticable carré. Piano, percussions, clarinette, contrebasse, accordéon, saxhorn, mais aussi, bruitages poétiques, se répondent et soutiennent le chant, sous la direction rigoureuse de Laurent Cuniot. Les quatre chanteurs (Agathe Peyrat, Paul-Alexandre Dubois, Vincent Bouchot, Philippe Cantor) évoluent sur le praticable qui est à la fois une scène et un espace mental. Agathe Peyrat, la soprano qui interprète Sammy, impressionne par son talent. Comme l’indique Alexandros Markeas : « elle a la capacité, à la fois d’être dans des styles de musiques populaires et dans des envolées lyriques dans la pure tradition des projections des voix. » La jeune cantatrice parvient à faire entendre la candeur, comme les fêlures secrètes de l’enfant, par sa voix et son jeu.
Les lumières de Rodolphe Martin nimbent l’ensemble de couleurs chatoyantes. L’orange et le violet, souvent sollicités, paraissent souligner les tensions entre l’aspiration au souvenir et les tentations de l’oubli. Quant aux projections vidéos de Loïs Drouglazet, encore une fois magnifiques, elles donnent naissance à des images d’une grande force poétique. Celle de la maison d’enfance qui se froisse et se dissipe comme une étoffe blanche dans le vent, est de toute beauté.
Mise en scène au cordeau, composition évocatrice, direction musicale rigoureuse, l’opéra La Vallée de l’Étonnement, imaginé par Sylvain Maurice et Alexandros Markeas convainc et enchante. ♥♥♥♥♡
La Vallée de l’étonnement
Librement inspiré de The Valley of Astonishment de Peter Brook et Marie-Hélène Estienne
Agathe Peyrat soprano
Paul-Alexandre Dubois baryton
Vincent Bouchot ténor-baryton
Philippe Cantor baryton-basse
l’Ensemble TM+
Julien Le Pape piano
Florent Jodelet percussions
Nicolas Fargeix clarinette
Charlotte Testu contrebasse
Myriam Lafargue accordéon
Vianney Desplantes saxhorn
cheffe de chant Sylvie Leroy
costumes Olga Karpinsky
lumière Rodolphe Martin
vidéo et régie vidéo Loïs Drouglazet
collaboration à la scénographie et régie générale Alain Deroo, régie son Yann Bouloiseau, régie plateau François Pelaprat
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