Aucune idée mise en scène Christoph Marthaler

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Présentée au Théâtre des Abbesses, dans le cadre du Festival d’Automne à Paris, Aucune idée de Christoph Marthaler est une porte musicale et poétique ouverte sur l’absurdité et la menace du vide. 

What a beauty bubble bible !

Sur un palier sans âme, cinq portes marron fermées, dont l’une est vitrée. A cour, deux boites aux lettres en fer. A jardin, un petit intérieur blanc à vue. Les murs et la porte qui permet d’y accéder sont dotés de traverses qui quadrillent les panneaux. Un radiateur blanc relié à des tuyaux qui n’aboutissent nulle part trône sur le mur du fond. C’est dans cette partie du plateau que va s’installer l’un des habitants de l’immeuble (Martin Zeller). Musicien, il travaille un morceau de viole de gambe en s’accompagnant d’un petit magnétophone à cassettes. L’autre habitant visible est un homme (Graham F. Valentine) dont la dégaine évoque à la fois celle de Jacques Tati et celle de John Cleese de la troupe des Monty Python.

Dès le début, dans la mise en scène de Christoph Marthaler, l’accent est mis sur le principe de répétition. Répétition musicale d’un morceau qu’on ne parvient pas à maîtriser. Répétition gestuelle face à des objets qui résistent à leur utilisation et semblent dotés d’une autonomie inquiétante. Les portes s’ouvrent, grincent mais le personnage qui les emprunte erre de l’une à l’autre. Des clés tombent et retombent. La boite aux lettres vomit des bibles de toutes langues puis des tonnes de prospectus. Le radiateur émet des bruits de tuyauterie jusqu’à une rébellion finale. Enfin, la redite verbale et l’accumulation de sonorités consonantiques (« beauty, bubble, bible ») nourrissent la peinture d’un monde absurde où le vide menace. Néant qu’il faut remplir à tout prix.

« L’oubli puissant habite sur ta bouche »

De ce principe de répétition, qui tord le déroulement temporel, naît à la fois le rire et la poésie. Le rire car l’univers décalé organisé par Christoph Marthaler évoque souvent celui de Jacques Tati. On pense à certaines scènes de Mon Oncle ou de Play Time. La séquence, notamment, où Graham F. Valentine égraine une litanie de mots vides de sens est irrésistible. Appuyé sur le radiateur qui lui sert de pupitre, le comédien déclame une homélie où l’allitération est poussée à l’extrême. Les mots roulent, déboulent, débaroulent.  La prêche adressée au public, forte de la rythmique qui la soutient, est, à la fois, un moment de fantaisie loufoque et d’interrogation sur la puissance mélodique des mots.

A l’instar de Verlaine qui conseillait aux poètes « De la musique avant toute chose » , Christoph Marthaler instaure la musicalité des mots au coeur de son travail. Les morceaux joués à la viole de gambe, les chants, les cascades de mots, même les bruits émis par les objets, tout concourt à dresser les contours d’un monde sonore et étrange. L’image finale est édifiante. Les deux comédiens pliés en deux devant un tas de prospectus comme devant un cadavre sans âme, chantent accompagnés par l’instrument à cordes tenu comme une guitare. Il s’agit d’une reprise de la chanson de Léo Ferré, « Le Léthé » . Les dernières paroles entendues sont donc celles de Charles Baudelaire. « L’oubli puissant habite sur ta bouche » . La poésie est convoquée pour faire barrage au néant. 


Malgré quelques longueurs, Aucune idée de Christoph Marthaler touche par son originalité et sa foi en la puissance évocatrice de la poésie. ♥♥♥♥♡


 

Festival d'Automne à Paris : Teaser du spectacle

 


Aucune idée

Festival d’Automne à Paris 

Programmation du Théâtre de la Ville

Conception et mise en scène, Christoph Marthaler 
Avec Graham F. Valentine et Martin Zeller
Dramaturgie, Malte Ubenauf
Scénographie, Duri Bischoff
Musique, Martin Zeller
Costumes, Sara Kittelmann
Assistanat à la mise en scène, Camille LogozFloriane Mésenge
Lumière, Jean-Baptiste Boutte
Son, Charlotte Constant
Construction décor et accessoires, Théâtre Vidy-Lausanne 
Traduction des surtitres, Camille LogozDominique Godderis-Chouzenoux

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