Critique Le Consentement

mise en scène Sébastien Davis

1 998
le consentement
(c) Christophe Raynaud de Lâge

Dans Le Consentement, Ludivine Sagnier donne à entendre superbement le récit  puissant de l’écrivaine Vanessa Springora. 

Consentir lorsqu’on a 14 ans ?

V. a quatorze ans lorsqu’elle tombe sous les griffes de G. qui en a cinquante. Le Consentement narre cette relation sous emprise. Il ne s’agit pas de fiction mais d’un récit autobiographique. Derrière ces initiales, se lisent les prénoms de deux protagonistes, l’autrice, Vanessa Springora et le prédateur, Gabriel Matzneff. L’homme n’est pas un inconnu. L’écrivain publie alors chez Gallimard et parade sur les plateaux de télévision. Dans ses écrits, il n’hésite pas à mettre en scène sa pédophilie et à vanter l’attrait de très jeunes filles ou de garçonnets. Lorsqu’il se rend à Manille, c’est à la recherche de « culs frais »  , écrit-il dans son Journal. Dans le milieu parisien, littéraire et médiatique, dans lequel il gravite, personne ne paraît s’en offusquer. Son « aura » d’écrivain légitime et absout sa perversité et ses penchants déviants.

En 2020, Vanessa Springora publie chez Grasset Le Consentement dans lequel elle révèle sans tabou la teneur de la relation toxique qui l’a liée à Matzneff. L’autrice y fustige également la complaisance familiale, hospitalière, littéraire et  institutionnelle.  « À quatorze ans, on n’est pas censée être attendue par un homme de 50 ans à la sortie de son collège, on n’est pas supposée vivre à l’hôtel avec lui, ni se retrouver dans son lit, sa verge dans sa bouche.   »  écrit-elle.

La déflagration est telle que, dans la foulée, le Parquet de Paris ouvre une enquête à l’encontre de Gabriel Matzneff pour « viols sur mineur de moins de 15 ans » . Les faits sont pourtant prescrits car antérieurs à la loi de 2018. Celle-ci avait porté le délai de prescription pour les crimes sexuels sur mineurs à trente ans, après la majorité de la victime. Mais, pour Vanessa Springora l’écriture s’affirme, avant tout, comme le lieu où elle peut se ré-approprier son histoire. Celle qui lui avait été confisquée par le prédateur sexuel qui l’avait séduite et utilisée.

Une interprétation respectueuse et incarnée

Au Théâtre du Rond-Point, Ludivine Sagnier fait entendre avec force et subtilité le texte de Vanessa Springora. Seule en scène, l’actrice donne voix à la narratrice, qu’elle soit enfant, adolescente ou adulte. Elle interprète également au hasard des échanges, la mère de V. , le philosophe Cioran, un médecin, un psychologue, et Matzneff lui-même… La comédienne, avec une grande dignité, prend en charge la puissance émotionnelle du texte, sans jamais tomber dans la facilité. La parole est toute entière tournée vers la restitution respectueuse et incarnée du texte. .

Ludivine Sagnier partage le plateau avec le musicien Pierre Belleville. Les percussions de la batterie nourrissent la création musicale de Dan Lévy et donnent écho à la violence ressentie par le corps de l’actrice. D’âpres spasmes la secouent, alors. Tête baissée, ses mains frappent son ventre. S’exprime par cette brutalité, ce que personne autour de V. ne veut voir : que son corps et son être ne lui appartiennent plus.

La mise en scène de Sébastien Davis, vive et sobre, ménage deux espaces. Sur le plateau, plusieurs éléments de décor, un lit, une table, de chaque côté du tapis de scène, construisent des repères à l’avancée du récit. Au lointain, un grand tissu évoque une sorte de membrane utérine derrière laquelle l’actrice parfois se fige. Seule sa silhouette immobile se devine tandis que sa voix paraît se dédoubler.

Cette ombre étrange, aux contours troubles, prisonnière d’un monde factice, est puissamment évocatrice des mots de Vanessa Springora : « Mon corps était fait de papier, dans mes veines ne coulait que de l’encre, mes organes n’existaient pas. Autour de moi, la ville, brumeuse, féerique, se muait en décor de cinéma. Tout était faux autour de moi et je ne faisais pas exception. » L’impression d’être piégée, de disparaître et de ne plus exister aux yeux de ceux qui auraient dû voir et la protéger.

Le Consentement, mis en scène par Sébastien Davis, restitue avec une grande dignité les mots de Vanessa Springora. Ludivine Sagnier, magistrale, embarque le spectateur dans une traversée vers la lumière. 

 

Les LM de M La Scène : LMMMMM

Le Consentement

Théâtre du Rond-Point

7 mars—6 avril 2024

Avec Le Théâtre de la Ville

Texte : Vanessa Springora
Mise en scène : Sébastien Davis

Avec : Ludivine Sagnier, Pierre Belleville
Collaboration artistique : Cyril Cotinaut
Création musicale : Dan Levy
Création lumière : Rémi Nicolas
Assistante à la mise en scène : Dayana Bellini
Scénographie : Alwyne de Dardel
Assistante scénographie : Claire Gringore
Stagiaire scénographie : Sabine Rolland
Régie générale : Julien Alenda
Régie son : Warren Dongué

Le Consentement, de Vanessa Springora, éditions Grasset, 2020.


Vous souhaitez lire une autre critique théâtre récente de M La Scène ? Celle-ci pourrait vous intéresser Critique Rebota rebota y tu cara explota  conception et mise en scène Agnés Mateus et Quim Tarrida.

S'abonner à notre newsletter
laissez un commentaire

Nous utilisons des cookies pour vous garantir la meilleure expérience sur notre site. Si vous continuez à utiliser ce dernier, nous considérerons que vous acceptez l'utilisation des cookies. Accepter En savoir plus