Antoine et Cléopâtre mise en scène Célie Pauthe

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Aux Ateliers Berthier, Célie Pauthe donne chair aux amants légendaires de la tragédie de Shakespeare, Antoine et Cléopâtre. 3H30 palpitantes, où les corps s’étreignent, où les mots résonnent, tandis que les ruines d’Alexandrie se gorgent de sable rouge et de sang. 

Alexandrie, mon amour

Tragédie historique de Shakespeare, jouée en 1606, après Macbeth, Antoine et Cléopâtre étonne encore par son originalité et sa poésie. Elle met en scène un couple légendaire d’amants. Lui est romain, elle, égyptienne. Liés par amour, ils le seront par la mort.

Après l’assassinat de Jules César, qui a mis Cléopâtre sur le trône d’Egypte, la République romaine a été partagée. L’Occident revient à Octave, tandis que Marc-Antoine reste maître de l’Orient. A Alexandrie, dans les bras de Cléopâtre, il oublie Rome. Face à l’animosité d’Octave, Antoine accepte d’épouser Octavie, la soeur de son rival, pour sceller la réconciliation entre ces désormais « frères » . Mais, de retour à Alexandrie, le général succombe à nouveau aux charmes de Cléopâtre. Octave déclare alors la guerre à l’Égypte. Lors de la bataille d’Actium, les navires de la reine fuient et, honte suprême, Antoine fait de même. Face à la déroute et à l’humiliation, Antoine se suicide. Suivi par Cléopâtre qui refuse d’être traînée à Rome et exhibée comme un butin.

Dès le premier vers, démesure et passion sont associés : « En vérité, ce fol amour de notre général passe la mesure » . Du début de la tragédie jusqu’aux derniers instants, la grandeur des amants est proclamée, et revendiquée. Comme si le lien unique qui les unissait était le garant de leur noblesse et de leur gloire. Antoine « invite le monde sous peine de châtiment à reconnaître »  qu’ils sont « incomparables » . Et Cléopâtre, aux portes de la mort, évoque, avec le plus grand lyrisme, son amant grandiose. Octave, lui-même, consacre la postérité du couple. A Alexandrie, Antoine et Cléopâtre partageront le même tombeau.

De l’or et de la pierre

Dans la pièce de Shakespeare, deux mondes s’affrontent. L’Egypte et Rome. Symbole d’un monde ancien amené à disparaître, Alexandrie qui abrite les passions d’Antoine et Cléopâtre, est le dernier écho de la République. Rome, que gouverne l’hégémonique Octave, verra le triomphe de l’Empire.

La scénographie imaginée par Guillaume Delaveau relève le défi de faire coexister les deux mondes. Dans le palais de Cléopâtre, l’or, le bleu et la rondeur règnent. Coussins, matelas moelleux, étoffes mordorées, caractérisent un univers de volupté où le plaisir est maître. L’espace de jeu est cependant très bas , comme déjà écrasé par le plafond légèrement pyramidal qui le surplombe.

A Rome, la pierre et la hauteur dominent. Une porte élancée, étroite et impériale perce un solide mur, écho architectural à la froideur d’Octave. Au début, un buste de César traîne au sol. Mais, très vite, il vient à trôner dans l’antichambre d’Octave. Les accessoires colonisent le premier espace avant que le futur empereur ne le fasse, et ne laisse que ruines et sable de sang de l’Egypte conquise.

A cette opposition scénographique répond l’antagonisme des costumes conçus par Anaïs Romand. A l’orient, la légèreté, le voile, la transparence. Pour l’Occident, le rigide, le costume, la cravate. D’un côté, la sensualité du tissu vaporeux sur les corps, de l’autre, l’ordre, l’habit convenu et protocolaire.

Chants et interprétation

Mélodie Richard, et Mounir Margoum interprètent le couple phare. La jeune actrice, qu’on avait découverte dans Salle d’Attente, mise en scène par Kristian Lupa ravit encore une fois par son jeu tout à fait particulier. Ses ruptures de tons sont parfois si étonnantes qu’elle plonge le spectateur dans une perplexité très réjouissante. Cléopâtre n’est pas capricieuse, la reine parait chargée d’une intériorité fantasque qui échappe à ceux qui croient la cerner. On comprend alors ce qui a pu la rendre unique aux yeux de Marc Antoine. Mounir Margoum apporte au personnage d’Antoine une animalité puissante mais empreinte de failles. Le chef de guerre succombe parfois au plus grand des désarrois.

Aux côtés de Mélodie Richard et de Mounir Margoum, Célie Pauthe fait exister les personnages secondaires ainsi que les tragédies de Shakespeare l’exigent. Les deux suivantes de Cléopâtre, Charmian (Dea Liane) et Iras (Mahshad Mokhberi), par leur présence et par des chants, convoquent tout un univers oriental. Frivoles et dévouées, elles précédent avec dignité leur reine dans la mort. On retiendra également la prestation d’Adrien Serre qui confère au personnage d’Eros candeur et noblesse. Assane Timbo est un Enobarbus convaincant. Eugène Marcuse, à la diction parfaite, campe un Octave contemporain et souverain.


S’appuyant sur la traduction poétique d’Irène Bonnaud, à laquelle elle a collaboré, Célie Pauthe, propose une vision passionnante de la pièce de Shakespeare Antoine et Cléopâtre. Au cœur d’un monde amené à disparaître, se dressent les figures des deux amants, si proches et si vivants, qu’ils ne peuvent que toucher.

Les LM de M La Scène : LMMMMM


Antoine et Cléopâtre

de William Shakespeare    Berthier 17e           
mise en scène Célie Pauthe     

avec Guillaume Costanza, Maud Gripon, Dea Liane, Régis Lux, Glenn Marausse, Eugène Marcuse, Mounir Margoum, Mahshad Mokhberi, Mélodie Richard, Adrien Serre, Lounès Tazaïrt, Assane Timbo, Bénédicte Villain, Lalou Wysocka

traduction Irène Bonnaud ( Texte à retrouver  éditions Les Solitaires intempestifs )
en collaboration avec Célie Pauthe
collaboration artistique Denis Loubaton
scénographie Guillaume Delaveau
costumes Anaïs Romand
lumière Sébastien Michaud
son Aline Loustalot
assistant à la mise en scène Antoine Girard


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