Critique Qui a peur

Mise en scène Aurore Fattier

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Au Théâtre 14, Aurore Fattier met en scène Qui a peur, un texte de Tom Lanoye. Ce qui s’apparente à une réécriture du célèbre Qui a peur de Virginia Woolf d’Edward Albee, s’en distingue par sa transposition au théâtre et ses accents désabusés. La structure un peu trop conventionnelle de la pièce est un frein à une totale adhésion.

Qui a peur
© Prunelle Rulens

Un modèle un peu trop présent

Qui a peur de Virginia Woolf  ?, d’Edward Albee, fut un succès dès sa création à Broadway en 1962 et donna lieu à une adaptation cinématographique qui a marqué les mémoires. Celle réalisée par Mike Nichols, où, les deux monstres sacrés, Elisabeth Taylor et Richard Burton, couple à la ville comme à l’écran, se déchiraient. La pièce met en scène un quatuor, deux couples. L’un, Martha et George, la cinquantaine, en proie à l’alcool et à de terribles règlements de comptes. L’autre, plus jeune, en apparence bien lisse, qui ne résiste pas aux excès ravageurs de la nuit qu’ils passent aux côtés de Martha et George.

Qui a peur, le titre choisi par le dramaturge belge néerlandophone, Tom Lanoye, joue franc jeu. La filiation s’affiche. Elle est revendiquée par la présence anaphorique des trois premiers termes. Mais, l’absence des trois derniers et du point d’interrogation induit un écart, un abandon de certains éléments du modèle initial.

Par une mise en abyme assez convenue, Qui a peur commence quand Qui a peur de Virginia Woolf ? finit. Les deux protagonistes du texte de Tom Lanoye, des acteurs vieillissants et aigris, viennent de jouer la pièce d’Edward Albee. Comme dans l’oeuvre du dramaturge américain, ils forment un couple où la violence des mots et l’humiliation règnent. Sur le plateau déserté par le public, ils s’apprêtent à recevoir deux jeunes gens. Il s’agit des deux comédiens pressentis pour reprendre les rôles du jeune couple à l’occasion de la prochaine tournée. Naïvement, ceux-ci pensent avoir été choisis pour leur talent. Ils ne doivent, en fait, leur sélection qu’à leur couleur de peau, qu’à leur origine. Très hypocritement, des subventions sont attribuées si on engage des comédiens « issus de la diversité » , pour reprendre un euphémisme à la mode.

Un jeu entre réalité et fiction 

La scénographie imaginée par Prunelle Rulens organise un retournement du décor. Le plateau est, à la fois, celui où s’est joué Qui a peur de Virginia Woolf ? et celui où se joue Qui a peur . Pour souligner la mise en abyme scénique, des rangées de gradins sont placés au lointain, et font face à ceux du public présent, dans une fausse bi-frontalité. Dans la même logique, les canapés, où vont s’asseoir les comédiens, tournent le dos à la salle.

Les coulisses, où sont stockés les accessoires, gardent leur fonction, mais sont seulement inversées. Le décor de la pièce d’Albee est démonté à vue par un acteur, Koen De Sutter. Metteur en scène, sur le plateau et dans la vie, c’est lui aussi qui apporte la table et les chaises qui serviront d’ancrage aux scènes entre les acteurs. Lui encore qui déplace les projecteurs pour donner l’illusion qu’il modifie l’éclairage où les quatre personnages jouent maintenant.

Afin de contribuer à gommer l’écart entre le réel et la représentation, dans Qui a peur, chaque protagoniste porte le vrai prénom du comédien qui l’interprète. Claire (Claire Bodson), Leila, ( Leïla Chaarani) , Koen (Koen De Sutter) et Khadim (Khadim Fall) forment le quatuor de personnages, qui pendant toute la représentation ne vont cesser de mentir et de se jouer des autres.

Parfois, une caméra projette sur le fin rideau d’avant-scène qui sert d’écran, le visage d’un des personnages. Comme si par ce procédé technique artificiel de grossissement, on pouvait avoir accès à une vérité.

La transposition au théâtre

Aurore Fattier et Koen De Sutter ont assuré la traduction française du texte néerlandais, en collaboration avec l’auteur. La langue de Tom Lanoye, verte, imagée, aux insultes percutantes, fait mouche et provoque souvent le rire. Les invectives, les « punchlines » outrancières, construisent l’enfer dans lequel le couple de Claire et Koen se meut et qui lui permet de vivre.

En déplaçant l’intrigue dans le milieu du théâtre, Tom Lanoye renforce l’idée que les personnages de Claire et Koen, mariés depuis vingt ans et partenaires de scène, ne font finalement que jouer un rôle. Le rôle de leur vie. L’un face à l’autre. Sans lequel, aucun des deux ne pourrait tenir debout et avancer. Claire Bodson et Koen De Sutter parviennent à faire entendre sous la violence, l’injure ou la veulerie, l’attachement ténu qui relie malgré tout ces deux êtres désabusés. Dans la dernière scène, Aurore Fattier, les fait descendre dans la salle. Éclairés par une simple lampe torche, ils longent le plateau, un peu hagards, ne sachant finalement, ce que la vie et le théâtre, qu’ils aiment tant, leur réservent. Le dernier mot est une incompréhension, une interrogation : « Quoi ? »

Il est dommage que la structure de la pièce soit si conventionnelle. A un moment, Leïla, la jeune comédienne le formule d’ailleurs à peu près en ces termes : « Ce genre de pièces est-il toujours d’actualité ?  »  On peut s’interroger sur la nécessité de coller à un modèle ancien, trop prégnant, trop admiré peut-être. Les scènes les plus intéressantes sont, notamment, celles où les jeunes acteurs (Leïla Chaarani et Khadim Fall ) vont eux aussi se saisir de la violence ou du mensonge pour mettre à mal l’hypocrisie de ceux qui veulent les utiliser. Lorsque le vieux metteur en scène fait pression sur sa future jeune interprète, elle retourne la situation, moment particulièrement savoureux et éclairant .

 

Qui a peur, mis en scène par Aurore Fattier, donne à entendre la langue truculente de Tom Lanoye mais, la structure choisie aurait gagné à être plus novatrice. 


Qui a peur 

Théâtre 14

au 25 mai

Texte Tom Lanoye

Traduction Française et dramaturgie Aurore Fattier & Koen De Sutter

Mise en scène Aurore Fattier

Avec Claire BodsonLeïla ChaaraniKoen De Sutter et Khadim Fall

Scénographie et Costumes Prunelle Rulens

Images & Vidéo Gwen Laroche

Son Laurent Gueuning

Lumière Franck Hasevoets



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