Critique Le Songe
mise en scène Gwenaël Morin
Gwenaël Morin met en scène Le Songe, d’après Le Songe d’une nuit d’été de Shakespeare. Son adaptation confie l’ensemble des rôles de la pièce, à seulement quatre acteurs. Une façon de jouer avec le spectateur, comme le souhaitait le dramaturge anglais. La forme radicale de la représentation se déploie dans un jardin, celui de la Maison Jean Vilar. La simplicité prime, tout en ménageant, au coeur du jardin, nuitamment éclairé, magie et truculence.
Fermer les yeux pour voir avec l’imagination
« L’amour au premier regard » , le XVIe siècle en parlait déjà. Le Songe d’une nuit d’été est une comédie-féérie dans laquelle Shakespeare se plaît à perdre le spectateur. L’amour, qui conduit les quatre jeunes gens, au coeur de l’intrigue, les mène du palais athénien de Thésée au royaume des fées. Tout, plutôt que de subir la contrainte et la loi des pères. Les humains, comme les créatures de la forêt, croient à la force de l’amour. Celui qui ensorcelle dès le premier regard. Mais, quand tout est un songe, la magie se moque souvent des certitudes et des attentes.
Le Songe, mis en scène par Gwenaël Morin prend place dans le jardin de la rue Mons, celui de la Maison Jean Vilar. Une façon de rendre hommage au créateur du Théâtre Populaire et du Festival d’Avignon. La pièce s’inscrit dans un projet à long terme, sur quatre ans, que Gwenaël Morin a intitulé malicieusement « Démonter les remparts pour finir le pont » . C’est une sorte de métaphore de son projet artistique. Ainsi qu’il le précise « Il s’agit de se saisir de ce qui est construit, de ce qui nous pré-existe. De ce qui est parfois utilisé pour nous impressionner, nous dominer, nous soumettre. Se saisir de toutes ces choses-là, qui génèrent beaucoup d’incompréhension de ma part et d’essayer de les changer en des forces de transformation et de relation à l’autre » .
La forme resserrée, choisie par Gwenaël Morin est audacieuse. Le Songe avec quatre acteurs. Comme l’était déjà celle d’Andromaque à l’infini. Quatre acteurs, échangeant leurs rôles de soir en soir, y interprétaient, dans l’urgence, les alexandrins de Racine. Le metteur en scène prend plaisir à entrer en confrontation avec l’oeuvre. Qu’elle soit celle de Racine ou de Shakespeare. Il dit aimer aller se « jeter à corps perdu dans une oeuvre, de manière totalement aveugle, totalement à l’aveugle » . « Se jeter à l’aveugle dans Le Songe d’une nuit d’été« , ajoute-t-il avec un sourire, « Ça commençait pas trop mal. Parce qu’il s’agit bel et bien de fermer les yeux, de s’endormir. Et le regard est transformé et « Love after sight » . En fermant les yeux, on crée du temps d’indisponibilité. On se ré-approprie son intériorité, son imaginaire » . Shakespeare ne fait que le dire « Fermons les yeux et ré-approprions-nous nos propres rêves. »
Si on jouait à faire du théâtre
Au tout début du spectacle, un aboyeur se charge de nous rappeler où nous sommes. Sur une ligne, avec les autres intervenants de la représentation, face public, en avant-scène, l’homme fait office de prologue. Il lit d’une voix impassible le papier qu’il tient dans les mains. C’est une espèce de résumé rapide des liens qui unissent les principaux personnages. Lysandre et Hermia s’aiment. Pourtant, cette dernière devait épouser Démétrius. Hélèna aime Démétrius, qui n’a d’yeux que pour Hermia. La scène est à Athènes, nous dit-on. L’annonce faite, le jardin se fait officiellement « théâtre » .
Les comédiens tirent un large portant en bois, fixé sur roulettes, sur lequel sont scotchés de nombreuses répliques de la pièce. Comme un rideau qui s’ouvrirait sur le désormais plateau. Puis, le quatuor, qui était en bermuda et tee-shirt, se déshabille et revêt par dessus ses sous-vêtements, une toge, plus que sommaire. Les mots de Shakespeare peuvent alors résonner dans le respect le plus total. Avec pour seul décor, le jardin, ses arbres, ses buissons et sa terre, à l’herbe rase. En arrière-fond, les portes entrouvertes de la Maison Jean Vilar, créent une brèche sur un ailleurs possible. Deux grosses boules de lumière éclairent l’avant-scène. Deux globes pâles, pour la lune errante, et le monde dans son orbite.
Les comédiens, (Virginie Colemyn, Julian Eggerickx, Jules Guittier, Barbara Jung, Grégoire Monsaingeon, Nicolas Prosper) chaussures de randonnées aux pieds, jouent à même la terre. Ils se dissimulent ou s’étendent parfois dans les arbustes bas. S’endorment aux pieds des arbres. Ou se lancent dans des courses folles dans le jardin, devenu le bois où vivent Obéron et la Reine des fées. Théâtre dans le théâtre, ils interprètent également la troupe des artisans affairés à monter le drame de Pyrame et Thisbé. La truculence et la dérision sont revendiquées dans les choix de mise en scène. Rien n’est sérieux, si ce n’est l’engagement extrême des comédiens, du début à la fin.
Quatre acteurs pour Le Songe – pour quatuor amoureux, pour un projet sur quatre ans, Le Songe, mis en scène par Gwenaël Morin semble marqué par le chiffre quatre. Une façon pour lui, par cette forme carrée, de, sans doute, tailler une pierre qui puisse contribuer à « finir » le pont.
Les LM de M La Scène : LMMMMM
Le Songe
Jardin de la rue de Mons
Avec Virginie Colemyn, Julian Eggerickx, Jules Guittier, Barbara Jung, Grégoire Monsaingeon, Nicolas Prosper
Texte William Shakespeare
Mise en scène et scénographie Gwenaël Morin
Dramaturgie Elsa Rooke
Chorégraphie Cecilia Bengolea
Création sonore Grégoire Monsaingeon
Lumière Philippe Gladieux
Costumes Elsa Depardieu
Régie générale Jules Guittier, Nicolas Prosper
Le Songe d’une nuit d’été de William Shakespeare, traduction François-Victor Hugo, est publié aux éditions Gallimard.
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