Maître obscur

mise en scène Kurō Tanino

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Maître obscur
© Jean-Louis Fernandez

Présentée, au T2G,  dans le cadre du Festival d’Automne à Paris, Maître obscur  la dernière création de Kurō Tanino, met en scène un « programme »  dans lequel une Intelligence Artificielle dirige des humains en voie de  réadaptation sociale. Avec malice, le dispositif choisi entraîne le spectateur dans le sillage de l’expérience.

La voix du maître

Après The Dark Master, qu’il avait présenté au T2G, à l’occasion des Japonismes 2018, Kurō Tanino poursuit sa réflexion autour de la domination d’êtres humains par un maître qui agit dans l’ombre. The Dark Master mettait en scène dans la région d’Osaka, au Japon, deux personnages, un restaurateur et un étudiant désoeuvré. Au fil de la représentation, le patron du bar, le maître, allait s’éclipser pour laisser les rênes de son établissement au jeune homme. Kurō Tanino organisait la disparition scénique totale du maître. Seul restait celui qui allait être manipulé à distance au moyen d’une oreillette. Le spectateur ne voyait, ni n’entendait plus le maître. Au point, qu’il en était possible de s’interroger désormais sur sa réelle présence dans les lieux et sur la santé mentale du disciple qui sollicitait de l’aide en parlant aux murs.

Maître Obscur, la nouvelle création de Kurō Tanino, prend place dans un endroit qui n’évoque plus le Japon. Mais, le choix de l’hyperréalisme perdure. L’intérieur dans lequel vont évoluer les personnages s’apparente à un décor désuet, figé dans les années 1970. Une grand pièce, ouverte à la vue, se partage en une cuisine aux meubles en formica jaune, un coin repas, un salon et une chambre aux meubles rustiques.

Pourtant, en totale contradiction avec cet univers défraîchi et daté, un écran surplombe l’un des murs. Il s’agit d’un décor volontairement mis en scène dans le cadre d’ « un programme »  destiné à aider des personnes en mal d’interactions sociales. Les participants, au nombre de cinq, guidés par la voix d’un maître obscur, celle d’une Intelligence Artificielle, doivent essayer de réapprendre, au sein de cet endroit, les gestes quotidiens les plus simples ou les mécanismes d’une conversation.

La mise en abîme

La voix du maître ne s’adresse pas qu’aux participants du programme. Kurō Tanino, avec malice, a imaginé un dispositif qui place également le spectateur en situation de dépendance. A l’entrée, un boitier et un casque sont distribués. Chaque spectateur, dès lors, entend la voix de l’IA lui susurrer ses conseils, recommandations ou encouragements à l’oreille. Comme on pourrait l’imaginer sous hypnose, dans un état de conscience modifiée, la voix invite à percevoir les sons ou les images autrement.

Toujours douce et bienveillante, la voix guide, dirige et manipule. « Je resterai à vos côtés » , « N’ayez pas peur de plonger dans le noir » . Elle fait passer des tests sensoriels et ment sur les résultats pour asseoir son pouvoir.  La réponse « deux personnes ont trouvé » annonce-t-elle.  Puis, un « c’est vous » est chuchoté à l’oreille de chacune des personnes assise dans la salle. La falsification de la vérité est mobilisée pour prendre l’ascendant sur les consciences.  » Vous êtes formidable » dit-elle au public comme aux participants.

Pour appuyer, la mise en abîme orchestrée par le « maître obscur »  de la représentation, la forme oblongue qui entoure la scène est semblable à celle qui encercle l’écran sur le plateau. Les vues projetées sont celles des prises en direct des caméras. Les participants sont ainsi sans cesse sous l’oeil du public et celui de l’IA. Celle-ci interfère dans les conversations, dans les déplacements et pilote ce qui parait se jouer en direct.

Les cinq acteurs sont français pour la première fois, (Stéphanie Béghain, Lorry Hardel, Mathilde Invernon, Jean-Luc Verna et Gaëtan Vourc’h). Les comédiens, affublés de tenues ridicules, celles, on le devine, générées par l’IA pour correspondre à l’image d’une famille, cultivent par leur gestuelle ou leur diction, un décalage souvent plaisant. Le constat est néanmoins terrible. La vision proposée par Kurō Tanino se clôt sur un échec. La parole vraie n’a plus sa place. Sous le déluge des injonctions ou commentaires du maître obscur, elle n’est plus audible.

On pourra regretter que Maître obscur de Kurō Tanino n’ait pas la poésie ou la délicate humanité qui se dégageaient de La Forteresse du sourire, mais, le spectacle interroge de façon originale la soumission aux normes et au virtuel.

Les LM de M La Scène : LMMMMM

 


Maître obscur

T2G Théâtre de Gennevilliers

du 19 septembre au 7 octobre

dans le cadre du Festival d’Automne à Paris

Texte et mise en scène Kurō Tanino

Traduction Miyako Slocombe

Avec Stéphanie Béghain, Lorry Hardel, Mathilde Invernon, Jean-Luc Verna et Gaëtan Vourc’h

Collaboration artistique Masato Nomura, Kyoko Takenaka

Scénographe Michiko Inada

Lumières Diane Guérin

Son Vanessa Court

Vidéo Boris Van Overtveldt

Costumes Laura Lemmetti

Accessoires Zoé Hersent

Construction décor Théo Jouffroy – Ateliers du Théâtre de Gennevilliers


Intéressé.e.s par une critique de M La Scène concernant une ancienne création de Kurō Tanino ? Celle-ci pourrait vous plaire :

Critique La Forteresse du sourire

Critique The Dark Master

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