Critique Le Moine Noir THE ЧЁРНЫЙ МÖNCH

Mise en scène Kirill Serebrennikov

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Kirill Serebrennikov propose une plongée abyssale dans l’esprit humain, à la recherche de ce qui constitue la folie. Le Moine noir, d’après une nouvelle de Tchekhov, alourdi par son quatrième acte, n’en demeure pas moins intéressant.

Un palimpseste au noir

Une légende s’attache à l’écriture de cette nouvelle par Anton Tchekhov. « Le Moine noir »  serait né d’un rêve terrible, lors d’une sieste : la vision cauchemardesque d’un moine sinistre planant au dessus d’un champ. La nouvelle paraitra en janvier 1894.

Andrei Kovrin souffre d’une dépression nerveuse. A l’invitation de son amie d’enfance Tanya Pesotskaya, il se rend sur le domaine de Borisovk. Yegor Semenovicha, le père de la jeune femme, a consacré toute sa vie à son jardin. Il envisage alors de marier sa fille avec l’intellectuel qu’il admire, afin d’assurer la survie de sa propriété. Mais, très vite, Andrei Kovrin est sujet à des hallucinations. Il croit voir un moine noir qu’une vieille légende évoque. Exalté par ses conversations avec l’être étrange qu’il est seul à voir, il bascule petit à petit dans la folie. Certain qu’il est l’élu, il meurt la bouche en sang, convaincu d’être un génie.

A partir de cette matière littéraire, Kirill Serebrennikov crée une pièce en quatre actes qui interroge, par sa structure même, les ressorts dramatiques de la folie. Conçu comme un palimpseste au noir, le spectacle se réécrit au fur et à mesure, chaque acte effaçant ce qui a préexisté mais laissant apparaître les traces de ce qui a précédé.

A travers cette réécriture en mouvement, Kirill Serebrennikov propose une plongée abyssale dans l’esprit humain, à la recherche de ce qui constitue la folie. Tentative théâtrale pour cerner la gangue ténébreuse dont le personnage principal reste prisonnier et qui l’empêche de s’émanciper de ses démons intérieurs.

Diffracter la perception de la réalité

Les trois personnages principaux (Yegor, Tanya et Andrei), prennent, tour à tour, en charge le récit. Le point de vue de chacun oblique le regard. L’histoire se répète mais, dite par un autre. Mêmes phrases, même fin funeste, mais, vécue et racontée dans un ressenti différent.

Pour accentuer, ce cycle qui ne parait pas finir, Kirill Serebrennikov diffracte la perception de la réalité. Trois acteurs incarnent successivement Andrei Kovrin. Le premier parle en allemand, le second en anglais, et le dernier en russe. Filipp Avdeev, qui incarne l’ultime version du personnage, est particulièrement saisissant. Puissant, inquiétant, il dégage une force menaçante, magnétique, alliée à la une fragilité ténue. 

Scéniquement, les éléments se déplacent, évoluent, pour illustrer les nouvelles versions de l’histoire. Les trois serres qui constituent le décor, enveloppées de bâches en plastique, sont manipulées à chaque acte, poussées, roulées, renversées, se désagrégeant au fil de l’avancée de la folie et sous les coups du mistral. Parallèlement, l’empreinte ténébreuse dans l’esprit tourmenté d’Andrei Kovrin, le philosophe, se traduit par la présence démultipliée du moine noir. Les silhouettes sombres des danseurs envahissent le plateau comme ils colonisent les pensées du personnage.

Le troisième acte est, à n’en pas douter, le plus noir mais aussi le plus beau. La chorégraphie, le chant et le jeu puissant du comédien lui confèrent une force visuelle unique. On aurait aimé qu’il clôture le spectacle. Mais, Kirill Serebrennikov choisit, au quatrième acte, de laisser à la danse le dernier mot. Semblables à des derviches tourneurs, les moines paraissent vouloir mimer un état d’extase mystique, mais l’ensemble ne convainc pas et affadit ce qui précédait. 


Le Moine noir de Kirill Serebrennikov avait relevé le défi lancé par la Cour du Palais des papes, à Avignon. Les hauts murs de pierres, lors du salut, s’étaient teintés de rouge. Un large STOP WAR, en lettres blanches avait été projeté. Un appel à juguler la folie des hommes. Hélas, toujours inaudible, dans le fracas des bombes.

Les LM de M La Scène : LMMMMM


 


LE MOINE NOIR

THE ЧЁРНЫЙ MÖNCH

Théâtre du Châtelet du 16 au 19 mars 2023

D’après Anton Tchekhov

Texte Kirill Serebrennikov

Mise en scène, scénographie Kirill Serebrennikov

Chorégraphie Evgeny Kulagin , Ivan Estegneev

Assistanat à la mise en scène Evgeny Kulagin , Ivan Estegneev , Anna Shalashova

Musique Jēkabs Nīmanis

Direction musicale Ekaterina Antonenko , Uschi Krosch

Arrangements musicaux Andrei Poliakov

Dramaturgie Joachim Lux

Lumière Sergej Kuchar

Vidéo Alan Mandelshtamm

Costumes Tatyana Dolmatowskaya

Avec Filipp Avdeev, Odin Biron, Bernd Grawert, Mirco Kreibich, Viktoria Miroshnichenko, Gabriela Maria Schmeide et Gurgen Tsaturyan

Les chanteurs Genadijus Bergorulko, Pavel Gogadze, Friedo Henken, Alexander Tremmel Ou Samuel Franco

Les danseurs Tillmann Becker, Viktor Braun, Tim Czerwonatis, Chris Jäger, Laran, Daniel Vliek

Spectacle vu au festival d’Avignon en 2022


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