Critique Les Frères Karamazov

Mise en scène Sylvain Creuzevault

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Après Le Grand Inquisiteur, qui portait déjà le titre de la cinquième partie du livre V des Frères Karamazov, Sylvain Creuzevault revient au roman de Dostoïevski pour proposer, à l’Odéon, l’adaptation totale du chef d’oeuvre de la littérature russe. Le fil du texte est gardé mais l’infidélité est revendiquée.

« Si Dieu est mort, tout est permis »

Contrairement au roman complexe de Dostoïevski, Les Démons, mis en scène en ce moment même par Guy Cassiers à la Comédie-Française, Les Frères Karamazov possède une architecture claire. Cinq grandes parties se suivent dans un plan rigoureux. L’histoire de la famille des Karamazov, où pointe déjà la violence, précède un portrait de l’anarchisme russe impie. Ensuite, le crime advient : le parricide. On accuse très vite, l’un des fils, Dimitri. Dans la quatrième partie, on connaît les coupables mais l’innocent est condamné. Enfin, l’épilogue donne la parole à Aliocha qui, devant le cercueil d’un enfant, réaffirme sa foi en la bonté et en la résurrection. Pour Dostoïevski, il s’agit de produire « une oeuvre achevée », ou rien ne soit « à corriger ou à supprimer. « 

Sylvain Creuzevault respecte la chronologie de l’oeuvre mais revendique « l’infidélité – jusqu’à la torsion » comme principe créateur pour « retrouver un esprit théâtral dostoïevskien ». Un rideau d’avant-scène monte ou descend pour matérialiser chacune des parties. La surface devient un écran où s’inscrivent de petits résumés sur les personnages ou sur l’action. Un visage, en gros plan, se projette sur un fond coloré sous le texte. Dès que les personnages se mettent à parler, la décontraction est de mise. Il devient clair, que la phrase placardée sur le mur du fond « Si Dieu est mort, tout est permis », peut être lue comme programmatique. L’adaptation s’autorisera tout. Et avant tout, la liberté de réécrire certains passages.

Le rire potache

Sur le plateau, la scénographie (Jean-Baptiste Bellon) reprend, en écho, celle du Grand Inquisiteur. Une boite blanche aux portes arrondies évoque dans les premiers temps l’ermitage orthodoxe. Le mur du fond devient un espace de contradiction, d’un côté le religieux, de l’autre les slogans qui devraient être  socialistes. On attendrait l’illustration de ce qui fonde le coeur des Frères Karamazov, le combat entre la foi portée dans le christianisme et son refus par ceux qui ne voient que la souffrance des innocents. Mais, les messages sont ridicules et n’ont plus de portée politique. « Snéguiriov, filasse » « Ilioucha, fils de lâche« .

Costumes et accessoires sont, pour la plupart, détournés pour moderniser l’ensemble ou pour prêter à rire. Au début, Aliocha porte dans son dos, un grand tapis, comme un sac de couchage de randonnée et ressemble à un christ en croix. Une pauvre branche de bouleau symbolise la forêt. Lorsque le Staretz meure, son cadavre pue. Aliocha vomit sur scène, tandis qu’une nonne débite une oraison funèbre stupide en se bouchant le nez. C’est Donald aux pays des Russes. Le rire fuse dans la salle. On boit des bières sur scène et on en distribue à l’entracte aux spectateurs. L’humour est l’artisan du renouvellement de la lecture du texte et d’une empreinte qui se veut contemporaine.

« Séjourner dans le monde »

Après l’entracte, deux espaces s’opposent, celui de la boite de nuit, clinquant avec ses néons multicolores et celui de la prison, glacé, où deux personnages sont encagés. Dans les deux espaces, s’invite la mort. On regrettera, encore une fois, que des coups de feu soient tirés sur scène. On souhaiterait que des propositions plus créatrices remplacent le pistolet brandi et les détonations, qui ne peuvent que rappeler des heures sanglantes vécues.

Le spectacle se termine sur l’épisode de l’enterrement d’Ilioucha. Autour de la pierre brute, une foule anonyme, portant un masque lisse, se regroupe. Commence alors, le discours fraternel d’Aliocha qui invite « à séjourner dans le monde » , ensemble, grâce au souvenir partagé. Comme les battements d’un coeur, la musique sourde, jouée en direct par Sylvaine Hélary et Antonin Rayon, souligne la force de l’image.

A l’Odéon, la mise en scène de Sylvain Creuzevault du roman de Dostoïevski, Les Frères Karamazov, moins chaotique que celle du Grand Inquisiteurparvient à restituer les paradoxes qui en font sa richesse.

Les LM de M La Scène : LMMMMM

Spectacle vu en octobre 2021 à l’Odéon.


Les Frères Karamazov

Odéon-Théâtre de l’Europe  Reprise avec le Festival d’Automne à Paris

6-22janvier

d’après Fédor Dostoïevski mise en scène Sylvain Creuzevault
artiste associé / création

avec Sylvain Creuzevault, Servane Ducorps, Vladislav Galard, Arthur Igual, Sava Lolov, Frédéric Noaille,

Blanche Ripoche, Sylvain Sounier, Patrick Pineau (les 6, 7, 12, 13, 14, 18, 19, 20, 21 janvier) en alternance avec Nicolas Bouchaud (les 8, 10, 11, 15, 17, 22 janvier) et les musiciens Sylvaine Hélary, Antonin Rayon


traduction française André Markowicz
dramaturgie Julien Allavena
scénographie Jean-Baptiste Bellon
lumière Vyara Stefanova
création musique Sylvaine Hélary, Antonin Rayon
maquillage Mytil Brimeur
masques Loïc Nébréda
costumes Gwendoline Bouget
son Michaël Schaller
vidéo Valentin Dabbadie

Logo Festival d'Automne à Paris

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