La Double inconstance mise en scène Galin Stoev

1 552

Galin Stoev présente La Double inconstance de Marivaux, au Théâtre de la Porte St Martin, avant que la représentation ne parte en tournée. Le grinçant s’y révèle avec acuité. Le sentiment amoureux devient un sujet d’expérimentation humaine entre les mains de puissants pervers. (Voir l’interview de Galin Stoev par M La Scène)

L’amour cobaye 

Comédie en trois actes, La Double inconstance de Marivaux, possède cependant un versant très sombre. Quand la pièce commence, une jeune fille, Silvia, a été enlevée. Le Prince la convoite et la maintient prisonnière dans son palais. Il se désespère car une loi lui interdit de prendre par la violence les « sujettes » qu’il souhaiterait épouser. Il devra donc la séduire par ruse.

Enlèvement, séquestration, perversion, marquent donc le début de la comédie. A ces premiers éléments vont se rajouter la manipulation, le mensonge et la corruption des âmes. Car il s’agit de séparer deux amants, Silvia et Arlequin. Épris l’un de l’autre, les deux paysans, s’aiment d’un amour dont la sincérité exacerbe les convoitises de ceux qui en sont incapables. Toute la cour va ourdir un complot pour pervertir les innocents. Au terme de leurs agissements, Silvia épousera le Maître qui l’avait kidnappée et Arlequin se mariera avec Flaminia, la conspiratrice qui est parvenue à l’éloigner de sa promise.

Pour Galin Stoev, entre le grinçant et la légèreté qui coexistent chez Marivaux, il fallait inévitablement faire un choix. Le metteur en scène a opté pour le côté sombre « parce qu’il est beaucoup plus actuel aujourd’hui et nous touche beaucoup plus. Justement parce qu’on traverse des temps de ténèbres, sur tous les plans, personnels, sociétaux, économiques financiers, écologiques, sanitaires, aussi. Et dans des moments pareils surgissent à la surface des nuances qui ne sont pas toujours agréables à voir, ni à reconnaître. »

Un laboratoire sous surveillance

La mise en scène dynamique de Galin Stoev et la scénographie étonnante, conçue par Alban Ho Van, dressent les contours d’un monde perverti où le sujet, animé par un amour vrai, devient le cobaye d’une expérience cynique. Sur le plateau, nul palais. Juste un lieu qui semble à l’écart de la cour et de ses dorures. L’espace ressemble à une sorte de laboratoire au centre duquel se trouve une pièce circulaire dissimulée par des rideaux qui coulissent. C’est là  que les sujets de l’expérience, Silvia ou Arlequin, sont prisonniers. Dans leur bocal, faussement bucolique, orné de pelouse et de plantes synthétiques, les deux amoureux, arrachés à leur milieu naturel, sont mis sous surveillance.

Le long des murs, de petits écrans de télévision retransmettent ce qui se passe dans la pièce close. De grands magnétophones tournent sans arrêt et enregistrent les échanges de ceux qui s’y trouvent. Un poste de contrôle avec micro est à la disposition de ceux qui observent et manipulent à distance. Il y a quelque chose de la sinistre Stasi, la police secrète de l’ancienne RDA, qui imprime le lieu. Galin Stoev parle de « Big Brother » .  De grands néons froids, encerclent, comme les clous d’un collier de chien, l’écran qui surplombe les vitres sans tain de la prison centrale.

Le spectateur est ainsi, à double titre, mis en position de voyeur. On contemple les victimes et on assiste aux manipulations des bourreaux. A travers le vitrage transparent, on peut avoir l’illusion de voir sans être vus. Le spectateur partage, alors, la vision de ceux qui interfèrent sur le destin des paysans.  « Nous, on prend du plaisir, à regarder comment ils vont se débrouiller à arriver au but, à la fin, Et à force d’avoir du plaisir, en regardant on devient inévitablement complices dans un crime énorme commis contre l’amour. Contre la seule chose authentique, l’histoire entre Silvia et Arlequin. Même si on badine, si on rigole, si on trouve ça amusant, quand même, à la fin, il y a un arrière-goût très amer.  » indique Galin Stoev.

Les liaisons dangereuses

Galin Stoev propose une mise en scène où le corps traduit la complexité de l’esprit. Vecteur de sensualité, d’attirance, de trouble non maitrisé, il traduit également la perversité des libertins qui usent et abusent de leur pouvoir pour travestir la réalité des sentiments. « Chez Marivaux, il y a une légèreté dans la langue mais en même temps, je voulais que cette langue, soit produite aussi par des pulsions dans le corps. Que cette matière, qui est presque irréelle, descende dans la matière véritable, et que cela produise un mariage un peu improbable entre ce qu’on pense de nous-même en tant que personnage et que nos corps ressentent, qui est juste le contraire.  » précise le metteur en scène.

La nudité des corps de Silvia (Maud Gripon) et d’Arlequin (Thibaut Prigent), est à ce titre plus offerte au regard. Objets de désir des maîtres, ils n’ont pas encore appris à dissimuler leurs émotions sous les corsets et jupons du mensonge. Quand ceux, qui leur mentent, les étreignent, le Prince (Aymeric Lecerf) ou Flaminia (Clémentine Verdier), leur gestuelle montre le double jeu pervers dont ils jouissent. A l’élan spontané des premiers répondent les saillies de la lubricité des seconds. Le corps révèle les stratégies à l’oeuvre. Tout comme, il reflète la folie des êtres qui ne peuvent se connaître.

On ne peut finir sans parler des acteurs qui incarnent avec finesse leurs personnages et sans citer notamment, Julie Julien. Au coeur de ces liaisons dangereuses, la comédienne fait de Lisette une rouée de haut vol, tout en lui donnant les accents précieux de Delphine Seyrig.


Galin Stoev, par sa mise en scène inspirée, montre encore une fois l’actualité du texte de Marivaux. Face à l’exhibitionnisme et au voyeurisme qui prévalent, à la manipulation de ceux qui détiennent le pouvoir, il est nécessaire de rappeler l’importance de la capacité d’aimer, librement. ♥♥♥♥♡


 

INTERVIEW DE GALIN STOEV PAR MARIE-LAURE BARBAUD, M LA SCÈNE


La Double inconstance

De Marivaux
Mise en scène Galin Stoev
Avec Léo Bahon – Trivelin, Maud Gripon – Silvia, Julie Julien – Lisette (en alternance), Aymeric Lecerf- Le Prince, Thibaut Prigent- Arlequin, Jean-Christophe Quenon- Le Seigneur, Mélodie Richard- Flaminia (en alternance), Clémentine Verdier – Lisette / Flaminia (en alternance)

Scénographie Alban Ho Van
Vidéo Arié van Egmond
Lumières Elsa Revol
Son, musique Joan Cambon
Costumes Bjanka Adzic Ursulov
Assistanat à la mise en scène Virginie Ferrere
Réalisation du décor dans les Ateliers du ThéâtredelaCité sous la direction de Claude Gaillard
Réalisation des costumes dans les Ateliers du ThéâtredelaCité sous la direction de Nathalie Trouvé

Théâtre de la Porte St Martin


Intéressés par une autre critique de M La Scène ? Celle-ci pourrait vous plaire : Critique Le Passémise en scène Julien Gosselin

laissez un commentaire

Nous utilisons des cookies pour vous garantir la meilleure expérience sur notre site. Si vous continuez à utiliser ce dernier, nous considérerons que vous acceptez l'utilisation des cookies. Accepter En savoir plus