The Notebook mise en scène Tim Etchells

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The Notebook, spectacle imaginé et conçu par  Forced Entertainment, au Théâtre de la Bastille, restitue la force brute du texte d’Agota Kristof. Les deux comédiens, Robin Arthur et Richard Lowdon, offrent une lecture chorale millimétrée, obsédante, du conte cruel.

La Petite musique de l’horreur

Ecrit en 1986, Le Grand cahier, de l’écrivaine hongroise Agota Kristof est la première partie d’une trilogie. La Preuve (publié en 1988) en constitue le deuxième volet et Le Troisième Mensonge ( 1991), le dernier. Les trois romans suivent l’itinéraire chaotique et violent de deux enfants, des jumeaux, pris dans la tourmente d’une guerre. Le lieu n’est pas précisé. Cette guerre-là ressemble à toutes les autres. Brutalité, viols, misère, morts. Comme dans un conte cruel, les deux garçons, âgés de quatre ans au début du récit, connaissent l’abandon, la solitude, et découvrent la face monstrueuse de l’homme. Mais, de leur gémellité, ils font une force. Au point de devenir de redoutables justiciers et des anges exterminateurs.

Agota Kristof  bannit toute psychologie de son écriture. Minimalistes, dépouillées jusqu’à l’os, les phrases du roman obéissent à la même règle que celle suivie par les jumeaux lorsqu’ils écrivent dans leur grand cahier. « Pour décider si c’est « Bien » ou « Pas bien », nous avons une règle très simple : la composition doit être vraie. Nous devons décrire ce qui est, ce que nous voyons, ce que nous entendons, ce que nous faisons. Par exemple, il est interdit d’écrire : « Grand-Mère ressemble à une sorcière »; mais il est permis d’écrire « Les gens appellent Grand-Mère, la Sorcière. » 

Rédigé à la première personne du pluriel, le roman épouse totalement le point de vue des deux frères. Le « Nous » qui narre les événements, le fait à hauteur d’enfant et en adoptant une syntaxe élémentaire. « Nous arrivons de la grande ville. Nous avons voyagé toute la nuit. Notre Mère a les yeux rouges. Elle porte un grand carton et nous deux chacun une petite valise avec ses vêtements, plus le dictionnaire de notre Père que nous nous passons quand nous avons les bras fatigués. ». Au milieu du chaos, la narration se cale sur la grammaire rassurante du dictionnaire.

Le choix de la sobriété

Sur le plateau, à l’instar des choix narratifs, Tim Etchells privilégie l’épure. Un grand tapis de sol blanc délimite l’espace de jeu. Aux deux coins du carré, deux chaises et à côté d’elles, deux petites bouteilles d’eau. Le mur du fond est à nu. C’est sur cette surface noire irrégulière que sont projetés les sur-titrages du texte traduit de l’anglais.

Dans cet espace volontairement dépouillé à l’extrême, les deux comédiens, Robin Arthur et Richard Lowdon, prennent en charge la narration. Il ne s’agit pas d’une interprétation mais d’une lecture chorale. Leur costume gris, leur pull torsadé de couleur rouge, leurs lunettes rectangulaires, jusqu’aux mèches de leurs cheveux, tout est identique. Comme les deux faces d’une même médaille. Rien ne les différencie, si ce n’est la tessiture de la voix. Ainsi que l’indique Tim Etchells : « Ils sont en totale symbiose. C’était intéressant de les voir travailler sur une pièce où les personnages sont identiques et ne forment qu’un seul être. Ils parlent à l’unisson. Ils sont habillés exactement pareil. Ils prennent même leurs respirations au même moment pendant une grande partie de la pièce. Ce sont ces deux voix qui donnent un aspect théâtral et dynamique à la pièce. »  

Malaise et humour

De cette ressemblance et de cette choralité obsédante naît un sentiment de malaise revendiqué par le metteur en scène. Pour les personnages, on le sent, cette relation gémellaire est à la fois une protection et une prison. Ensemble, ils ne font qu’un, aliénés à leur couple salvateur et toxique, étrangers dans les mots à une quelconque émotion.

Robin Arthur et Richard livre une véritable performance. Face public pendant près de deux heures vingt, ils « jouent » le texte tels des interprètes qui suivraient leur partition vocale rigoureuse. Le grand cahier qu’ils tiennent devient livret. Malgré les horreurs qu’ils restituent sans affect, les comédiens parviennent parfois, par un regard qu’ils s’échangent ou par quelques silences alourdis de sous-entendus, à distiller des pointes d’humour bien venues. Leur connivence, soutenue par la langue anglaise, apporte une contre-point comique à la noirceur du récit.


The Notebook, imaginé et conçu par Forced Entertainment, d’après le terrible roman d’Agota Kristof, parvient à donner voix à l’insoutenable, en laissant entendre les notes souterraines qui unissent ces enfants qui n’en sont plus. ♥♥♥♡♡


The Notebook 

Texte Agota Kristof, publié aux Éditions du Seuil, 1986

Traduction Alan Sheridan

Spectacle imaginé et conçu par Forced Entertainment

Mise en scène Tim Etchells

Avec Robin Arthur et Richard Lowdon

Scénographie Richard Lowdon.

Lumières Jim Harrison

Présenté au Théâtre de la Bastille en coréalisation avec le Festival d’Automne à Paris, dans le cadre du Portrait Forced Entertainment


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