Tartuffe mise en scène Ivo van Hove

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A la Comédie-Française, Ivo van Hove présente la version inédite du Tartuffe de Molière, celle qui fut interdite dès 1664. L’implacable emprise du dévot sulfureux sur la famille de son hôte s’affiche dans toute sa noirceur.

Succomber au « noir esprit »

En trois actes seulement, Le Tartuffe ou l’Hypocrite, présenté à Versailles devant Louis XIV, ne fut jouée qu’une fois, le 12 mai 1664. Interdite, cette version restituée par l’historien de la littérature Georges Forestier, avec la complicité d’Isabelle Grellet, est une des clés de voûte de la célébration du 400e anniversaire de la naissance de Molière, à la Comédie-FrançaiseL’Hypocrite n’était pas encore LImposteur, il allait le devenir cinq ans plus tard.

De nombreuses conjonctures ont émaillé les études consacrées à cette pièce phare de Molière. Mais, l’historien Jules Michelet, comme le chercheur Gustave Michaut s’accordaient sur plusieurs points. Les trois actes de ce premier Tartuffe formaient une entité, « plus forte ainsi » et voyaient le triomphe final de l’hypocrite. Le metteur en scène belge, Ivo van Hove, a choisi cette option.

Plus resserrée, cette version originale se concentre sur les conséquences funestes de l’arrivée de Tartuffe dans la famille d’Orgon. L’ancien mendiant est devenu le directeur de conscience de celui qui l’a accueilli. Le dévot convoite intensément la jeune épouse de celui-ci et provoque la répudiation violente du fils de la maison. Sous la coupe du « noir esprit » , la famille semble perdue car, à la fin, aucun « Deus ex machina »  ne vient déjouer les plans du terrible démon.

Une belle scène inaugurale 

Le rideau se lève sur un plateau nu et la vision d’un monde déjà effrayant, presque apocalyptique. Des échafaudages et des cordes se devinent à travers des nuages de fumée. C’est sur une musique anxiogène que Orgon (Denis Podalydès) entre. Il se dirige vers le centre de la scène et soulève une épaisse toile marron. Sous ce tissu poussiéreux, il découvre le corps d’un homme recroquevillé. Eperdu, il se met à crier à plusieurs reprises « Maman !  » . Mme Pernelle ( Claude Mathieu) arrive. Ensemble, ils vont, avec douceur, déshabiller, laver et métamorphoser ce SDF, en homme présentable.

Cette très belle scène est une trouvaille. Les éléments du décor, lustres, vases, fleurs et structures métalliques, descendent des cintres et sont installés à vue. A la lueur des flambeaux, la demeure d’Orgon, se monte, semblable à sa famille, éclatée. En parallèle, celui qui va devenir Tartuffe (Christophe Montenez) , est déjà au centre de la scène. Objet de toutes les attentions, Orgon lui caresse le visage, le cajole. Cette scène inaugurale, rajoutée au texte, permet d’illustrer ce qui, en creux, relie Orgon à sa créature. Sa chose, tirée du néant, lui renvoie une image positive de lui-même qu’il ne voit, ni dans les yeux de sa nouvelle épouse, ni dans ceux de son beau-frère (Loïc Corbery) ni dans ceux de sa servante, Dorine ( Dominique Blanc).

Rejet du réalisme et jeu du désir

Jan Versweyveld revendique l’absence de réalisme dans la scénographie du spectacle. Celle-ci s’affiche comme le laboratoire froid  de « l’expérimentation sociale » qui va avoir lieu : la transformation du mendiant en bourgeois respecté. Des phrases apparaissent régulièrement sur l’écran qui surplombe l’escalier de métal. « Qui était cet homme ? » . « Madame a-t-elle raison ? » . « Amour ou soumission ? » . « Un geste radical » . Ces formules souvent interrogatives mettent à distance l’action sur scène. Des coupes franches de lumière, additionnées d’un son brutal, rythment les changements de scène et marquent l’avancée tragique de la violence.

La mise en scène d’Ivo van Hove met en avant l’idée d’un duel permanent. Deux chaises en avant-scène concrétisent l’espace où les protagonistes vont s’affronter. En regardant les personnages, placés de profil, bien assis sur leurs positions, il devient évident qu’aucun compromis n’est possible. Ce choix radical a également deux effets. Le premier, il met en exergue chaque geste tenté vers l’autre. Une main sur la cuisse de l’adversaire devient un événement. Le second est, hélas, d’enlever de la vie à l’échange.

L’étonnement vient de la relation entre Elvire (Marina Hands) et Tartuffe (Christophe Montenez).  » Pour moi, en effet, Elvire et Tartuffe sont tombés amoureux l’un de l’autre »  indique Ivo van Hove. La sensualité qui se dégage du couple bouscule les a priori, au point qu’on ne sait plus ce qui relève du stratagème ou de l’attraction réelle. La réussite est là. Dans cette relecture qui déploie le désir, non plus comme une arme, mais comme un brasier dangereux.


Face à la mise en espace dont la froideur est parfois à regretter, les comédiens de la troupe de la Comédie-Française, encore une fois, emportent l’adhésion. Le plaisir à défendre leur personnage ne se dément pas. ♥♥♥♡♡


Tartuffe ou l’Hypocrite

Comédie en trois actes et en vers
Version interdite de 1664 restituée par Georges Forestier, avec la complicité d’Isabelle Grellet
Date de création de l’œuvre : 12 mai 1664 au Château de Versailles
Première à la Comédie-Française

Mise en scène : Ivo van Hove
Dramaturgie : Koen Tachelet
Scénographie et lumières : Jan Versweyveld
Costumes : An D’Huys
Musique originale : Alexandre Desplat
Collaboration musicale : Solrey
Son : Pierre Routin
Vidéo : Renaud Rubiano
Réalisation maquillages : Claire Cohen
Assistanat à la mise en scène : Laurent Delvert, Assistanat à la scénographie : Jordan Vincent, Assistanat aux lumières : François Thouret

Avec Claude Mathieu (Mme Pernelle, mère d’Orgon), Denis Podalydès (Orgon, mari d’Elmire) Loïc Corbery (Cléante, beau-frère d’Orgon), Christophe Montenez (Tartuffe, faux dévot), Dominique Blanc (Dorine, suivante), Julien Frison (Damis, fils d’Orgo), Marina Hands (Elmire, femme d’Orgon)

et les comédiennes et comédiens de l’académie de la Comédie-Française Vianney Arcel, Robin Azéma, Jérémy Berthoud, Héloïse Cholley, Fanny Jouffroy, Emma Laristan


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