Le Petit maître corrigé de Marivaux mis en scène par Clément Hervieu-Léger, par la belle scénographie d’Eric Ruf et les lumières subtiles de Bertrand Couderc, évoque les tableaux galants d’Antoine Watteau, où le sentiment amoureux vibre ou peut fuir dans l’instant.
L’Embarquement pour Cythère
Monté à la Comédie-Française par Clément Hervieu-Léger, Le Petit maître corrigé est une comédie en trois actes et en prose écrite par Marivaux. L’argument en est simple: un jeune aristocrate parisien, fat et superficiel, doit se marier à une jeune comtesse provinciale. Le mariage est arrangé par les parents. « Le Petit maître » arrive chez sa promise mais, se fait fort de ne pas lui parler d’ amour. Celle-ci, avec l’aide de sa servante, maligne et dévouée, décide de « corriger » cet homme présomptueux. Il devra lui avouer son amour et conquérir son cœur ou la jeune femme renoncera au mariage.
L’amour est donc au cœur de l’intrigue. L’amour « vrai », sensible, débarrassé de tous ses oripeaux maniérés. Pour illustrer cette thématique de l’amour à la recherche du naturel, Clément Hervieu-Léger s’appuie sur la très belle scénographie d’Eric Ruf. Une petite butte est aménagée sur le plateau, comme un champ de blé vallonné, une dune fixée par une flore dorée. La mise en scène tire sens de cette contrainte : comment les postures ridicules du « petit maître » pourraient-elles résister à la puissance de la nature qui domine les hommes, au point de commander à leurs mouvements ? Les acteurs courent, montent, descendent, se cachent, glissent, se rattrapent parfois aux herbes hautes. La course échevelée vers l’abandon des faux-semblants ne peut avoir qu’une seule issue : le masque tombera et le petit maître corrigé, tel un épi de blé, pliera.
Éclairés par Bertrand Couderc, les personnages paraissent sortis d’une oeuvre de Watteau, tel L’Embarquement pour Cythère. Sous un ciel bleuté éclatant se détachent les silhouettes élégantes. Les taches de rouge de certains accessoires ponctuent la douce ligne mélodique des costumes conçus par Caroline de Vivaise. Les placements des couples ou des groupes dans l’espace sont travaillés avec minutie. Tableaux subtils qui souhaiteraient traduire les nuances du sentiment amoureux. La fête galante serait parfaite si la toile de fond de scène ne venait se mouvoir dans un grincement trivial pour laisser apparaître les sombres mécanismes qui la font bouger. Dans quel but ? Casser l’illusion ? Le procédé convainc peu.
Maîtres en question, maîtres en diction
Le Petit maître corrigé ne reprend pas la problématique des « grandes » pièces de Marivaux. Il ne s’agit pas de décrire l’opposition entre maîtres et valets en interrogeant sur les conditions d’une vie harmonieuse d’un groupe aux prises avec la question du pouvoir. L’intérêt de la pièce de Marivaux tient à l’itinéraire du personnage principal, Rosimond, le petit maître, bien peu maître de ses émotions au point de les cacher sans cesse sous des rictus empruntés. Clément Hervieu-Léger confie ce rôle à Loïc Corbery. A lui, la lourde charge de rendre lisible pour le spectateur, le parcours du personnage qui accepte de voir clair dans son propre cœur. Il faut attendre le dernières scènes, pour qu’enfin, Loïc Corbery fasse entendre toute la finesse de son talent. Rosimond terrassé, fauché par l’amour, dans les blés frémissants.
Des autres interprètes, nous retiendrons la présence magistrale de Sylvia Bergé ( la marquise, mère de Rosimond). Dès qu’elle apparaît le geste, la voix sont placés, évidents. Ces apparitions sont rares mais chacune d’elles s’impose avec netteté et autorité. Les mots de Marivaux nous parviennent dans toute leur finesse et nous les entendons, au sens plein du verbe. Didier Sandre ( le Comte, père d’Hortense, la jeune provinciale), comme Sylvia Bergé sont des maîtres qui ne mettent pas la diction en question.
Le Petit maître corrigé de Marivaux, mis en scène par Clément Hervieu-Léger est à découvrir jusqu’au 19 juillet à La Comédie française.
Les LM de M La Scène : LMMMMM
LE PETIT MAÎTRE CORRIGE
de Marivaux
Mise en scène Clément Hervieu-Léger
Scénographie : Éric Ruf
Avec S y l v i a B e r g é, F l o r e n c e V i a l a , J u l i e S i c a r d, L o ï c C o r b e r y, A d e l i n e d ’ H e r m y , C l é m e n t H e r v i e u – L é g e r , D i d i e r S a n d r e, C h r i s t o p h e M o n t e n e z, e t l a c o m é d i e n n e d e l ’A c a d é m i e I p e k K i n a y
Costumes : Caroline de Vivaise
Lumière : Bertrand Couderc
Musique originale : Pascal Sangla
Son : Jean-Luc Ristord
Maquillages et coiffures : David Carvalho Nunes
Collaboration artistique : Frédérique Plain
Assistanat à la scénographie : Dominique Schmitt
Reprise. Spectacle vu en 2018
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