L’île d’or mise en scène Ariane Mnouchkine

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L’île d’or, la nouvelle création collective du Théâtre du soleil, dirigée par Ariane Mnouchkine, dresse l’état d’un monde malade que l’écoute de l’autre peut sauver. Sur cette île japonaise imaginaire, Kanemu-Jima, se célèbre avant tout la magie du théâtre. (Regarder l’interview avec  trois comédiens de la troupe du Théâtre du Soleil).

Une Chambre au Japon

L’entrée dans le hall du théâtre donne le ton. De grands kanjis japonais s’affichent sur des fonds rouges suspendus au plafond à côté d’une multitude de lampions blancs. De Japon, il sera question. Mais aussi de théâtre, de foi en l’humanité et d’humour.

Avant que le spectacle ne commence, un kurogo, tout habillé de noir, comme le veut la tradition du kabuki, rappelle la nécessité d’éteindre les téléphones portables. Une sonnerie retentit soudain alors qu’il court dans les gradins. Gêne dans l’assemblée théâtrale. Un autre acteur, un kurogo lui aussi, tend alors l’appareil à son partenaire qui s’empresse de répondre en baissant quelque peu la voix. « Je suis confus » , dit-il. Rires dans la salle qui s’amuse de cette facétie complice. Les sonneries de téléphones portables viendront marquer, au fil de la représentation, l’ancrage du présent.

Sur scène, le spectateur retrouve le personnage d’ Une chambre en Inde, Cornélia. Presque mourante, titubante, elle navigue sur le plateau dans son petit lit à barreaux, manié par un infirmier. La Covid l’a frappée comme tant d’autres. Comme Ariane Mnouchkine, la metteure en scène de la troupe du Soleil. Pour échapper à la désolation et la tristesse, l’artiste rêve d’un festival merveilleux. Il aurait lieu sur une île d’or. Une île japonaise, imaginaire, Kanemu-Jima, où les arts ancestraux et contemporains de tous les pays se rencontreraient en toute liberté.

Et si tout avait commencé à Asakusa ?

En juin 2019, Ariane Mnouchkine est honorée du Kyoto Prize. Dans son discours, la capitaine du navire « Théâtre du soleil » revient sur l’un de ses premiers voyages au Japon et décrit le moment où, dans un petit théâtre du quartier d’Asakusa à Tokyo , elle découvrit ce qu’était « un vrai acteur » .

« Il nous parlait, il criait. Je ne comprenais rien mais voyais tout. Son regard affolé me faisait voir les yeux tout aussi affolés des chevaux écumant sous les fouets et leurs sabots soulevant la poussière ou déchirant la prairie, faisant voler des mottes noires comme des bombes. Il alertait le village, c’est sûr, et pour mieux le faire, saisi d’une inspiration soudaine, il traîna sur sa petite scène un immense tambour. (…)  Il était le Prince Hal, il était Hotspur, il était Falstaff, Macbeth devant la forêt qui marche, Henry V, il était Shakespeare. Ce jour-là, pour la jeune voyageuse ignorante que j’étais, dans cette misérable petite salle de rien du tout à Asakusa, grâce à un humble acteur japonais, il n’y avait plus ni Japon ni Occident. Il y avait le Théâtre. Universel. Humain et grandiose. » 

Ariane Mnouchkine raconte ensuite que ce n’est que tout récemment qu’elle a appris que « ce style se nommait Taishu Engeki qui se traduirait en français par théâtre pour le peuple.  » Du théâtre populaire au théâtre du Soleil, le lien était déjà là. Du petit théâtre d’Asakusa, découvert par hasard, à « l’île d’or » , le théâtre unique d’Ariane Mnouchkine à la Cartoucherie, des fils indéfectibles étaient tirés. 

Trump et consorts

L’île d’or, ce lieu utopique dont rêve Cornélia s’inspire de l’île de Sado qui existe au Japon (Sadogashima en japonais). Depuis des siècles, ce bout de terre isolé a accueilli des religieux, des opposants, des poètes, des artistes qui en ont fait un lieu unique, à la fois d’exil, de refuge et de culture. Des troupes de théâtre Nō, de marionnettes bunya ningyo, Kodō, le célèbre groupe de taïko (grand tambour japonais) y travaillent et s’y produisent. Au mois d’août, Earth Celebration, un festival international attire des milliers de spectateurs pour écouter notamment les tambours de Kodō. 

Dans le projet initial, comme le rappelle Dominique Jambert, la troupe devait partir « un mois, tous ensemble » sur l’île de Sado  » pour se nourrir des arts traditionnels. On devait faire du bunya, on devait faire du Kodo, on devait faire du Nō. (…) Quand est arrivé le confinement. »  Les acteurs du Théâtre du Soleil ont dû alors, comme l’explique Duccio Bellugi-Vannuccini « à partir du projet d’Ariane, faire des recherches pour étudier l’état du monde et ce que le covid mettait en lumière. Tous les drames qui se passent dans ce monde. » Mais, ainsi qu’Arman Saribekyan le précise, cette tristesse, « cette colère qu’Ariane ressentait, que nous ressentions, que les gens ressent, il fallait faire quelque chose avec ces sentiments, avec ces ressentiments, sur scène. Il y avait une nécessité.  » 

Ainsi, l’île précieuse éveille les convoitises d’entrepreneurs corrompus. « Les démons sont aux manettes » lance un personnage. Trump et consorts, Bolsonaro, Ghosn, mafieux tueurs de femmes, traversent le spectacle de leurs présences malfaisantes. Mais, c’est par le pouvoir du théâtre et de l’artifice qu’ils seront contrecarrés.


Conçue comme une succession d’épisodes, L’île d’or, la nouvelle création du Théâtre du Soleil, dirigée par Ariane Mnouchkine, enchaîne les tableaux dont l’esthétisme ravit. L’ensemble, cependant, souffre d’être parfois décousu. Mais, on retiendra la belle image finale. Au ralenti, l’ensemble de la troupe interprète une danse Nihon Buyô sur la chanson  We’ll Meet Again, chantée par Vera Lynn. Sublime invitation à se retrouver ! ♥♥♥♡♡


 

Interview de Dominique Jambert, Duccio BELLUGI-VANNUCCINI & Arman SARIBEKYAN par M La Scène


L’ÎLE D’OR

Kanemu-Jima

Une création collective du Théâtre du Soleil
en harmonie avec Hélène Cixous
dirigée par Ariane Mnouchkine
musique de Jean-Jacques Lemêtre,  assistante : Marie-Jasmine Cocito, en alternance avec Clémence Fougea, percussion : Ya-Hui Liang

Distribution : Hélène Cinque, Sébastien Brottet-Michel, Shaghayegh Beheshti, Juliana Carneiro da Cunha, Eve Doe Bruce, Nirupama Nityanandan, Omid Rawendah, Farid Gul Ahmad, Vincent Mangado, Seietsu Onochi, Dominique Jambert, Georges Bigot, Judit Jancsó, Maurice Durozier, Duccio Bellugi-Vannuccini, Arman Saribekyan, Agustin Letelier, Martial Jacques, Alice Milléquant, Andréa Marchant, Samir Abdul Jabbar Saed, Xevi Ribas, Sayed Ahmad Hashimi, Shafiq Kohi, Reza Rajabi, Miguel Nogueira, M.W. Brottet, Taher Akbar Baig, Candice, Thérèse Spirli, Julia Marini, Eve Doe Bruce, Mio Teycheney-Takashiro, Aline Borsari, Marie-Jasmine Cocito.

CELLES ET CEUX QUE L’ON NE VOIT PAS (à découvrir dans le générique complet)


L'ile d'or

Intéressés par une autre critique d’un spectacle proposé au Théâtre du Soleil ? Celle-ci pour vous plaire. CritiqueKanata mise en scène de Robert Lepage

 

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