La Réponse des hommes mise en scène Tiphaine Raffier

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La réponse des hommes
(C) Simon Gosselin

Après les Amandiers de Nanterre, Tiphaine Raffier, artiste associée au projet de Christophe Rauck, reprend à l’Odéon, sa dernière et puissante création La Réponse des hommes. Comme un miroir tendu vers notre humanité, le spectacle questionne notre propension à la bonté, au sacrifice, et notre capacité aux petits arrangements avec la morale. (Regarder l’interview vidéo de Tiphaine Raffier accordée à M La Scène)

« Grand fut Dieu en nous »

Accueillir les étrangers. Nourrir les affamés. Prier pour les vivants et pour les morts. Donner à boire aux assoiffés. Vêtir ceux qui sont nus. Visiter les prisonniers. Assister les malades. Ensevelir les morts. Ces exhortations divines sont autant d’Oeuvres de miséricorde qui, selon L’Évangile de Saint-Matthieu, doivent permettre au croyant, par des actions concrètes, de grandir dans sa foi ou de racheter ses fautes. A cette liste, le Pape François, en 2016, a ajouté « Sauvegarder la création » , injonction à sauver notre « maison commune » . Tiphaine Raffier associe cette dernière oeuvre corporelle contemporaine aux huit précédentes et interroge l’ensemble. 

Pour Tiphaine Raffier, il était important de « questionner ce que les oeuvres de miséricorde ne questionnent pas, c’est-à-dire, la déontologie du bien. Les oeuvres de miséricorde sont des oeuvres conséquentialistes : il faut donner à boire aux assoiffés. Qu’importe la manière pour arriver à cette fin. On n’interroge pas ces questions de dilemme éthique, qui entrent dans le détail de l’éthique philosophique et expérimentale » . A partir de ces injonctions, qui sont projetées comme des titres sur le mur de fond de scène, qui sert d’écran géant, la metteuse en scène élabore neuf histoires qui se font écho.

Sur le plateau, ces neuf formes, qui paraissent indépendantes au début, se répondent pour tisser une oeuvre qui sonde le coeur des hommes. « Grand fut Dieu en nous » , la citation de Thomas Mann, a inspiré Tiphaine Raffier. « La grandeur mystique qui est propre à l’imagination de l’homme, qui est en l’homme, c’est ça qui est grand. »  dit-elle. C’est donc, à hauteur d’homme, à hauteur de public, que se situe le spectacle. La transcendance divine a été abolie. Et c’est nous qui sommes questionnés.

Le dilemme du choix

Maternité, salon familial, salle de dialyse, cour de justice, parloir de prison, salle de conférence, musée, chacun des lieux devient l’endroit où, très concrètement, l’effroi devant la conscience des hommes est interrogé. A chaque étape du parcours, le dilemme du choix est mis en scène avec acuité.

La scène inaugurale est, à ce titre, saisissante. Réalité et cauchemar se confondent. Images tournées hors scène et réel vécu au plateau brouillent les cartes de la perception. Sur l’écran, une femme se réveille. Le décor renvoie à un univers connu. Puis, soudain, quand les portes s’ouvrent, sur scène, l’horreur se déploie sans qu’on sache alors que ce n’est qu’un rêve. Dans un service de maternologie, on tente d’apprendre à une mère à aimer son enfant. Membre d’un programme alimentaire mondial, elle reste hantée par ce qu’elle a vu. Au fur et à mesure des entretiens, son regard ne cesse de nous accrocher. Pour finir, face public, elle pose la question de l’égalité de la valeur des vies. Celle, terrible, des « morituri » , les hommes qu’on va sacrifier au profit des autres.

L’urgence ne cesse de se faire entendre par les alarmes qui retentissent. La phrase « Nous sommes désolés » , empruntée au mouvement « Extinction Rebellion » , ponctue le spectacle, comme un avertissement mais aussi une réponse insuffisante et dérisoire. Dans le dernier tableau, on découvre un tract mis sous cloche, dans un musée. On vient le regarder comme un vestige d’un espoir défunt. La fin du spectacle n’est pas pessimiste pour Tiphaine Raffier. Face au mur qui s’avance, prêt à broyer les hommes, elle donne à voir la possibilité de trouver une réponse collective d’agir sur le chemin de la bonté.

Sacré et profane

Tous les comédiens relèvent le défi de faire exister les fêlures, les petits arrangements avec la morale et les incohérences humaines face aux choix qu’il s’agit de prendre. Sharif Andoura, Salvatore Cataldo, Éric Challier, Teddy Chawa, François Godart, Camille Lucas, Edith Merieau, Judith Morisseau, Catherine Morlot, Adrien Rouyard, dans les neuf oeuvres de miséricorde, donnent corps et chair, aux personnages qui habitent les tableaux. Loin d’être univoques, ils donnent l’épaisseur trouble nécessaire à la complexité des figures imaginées par Tiphaine Raffier.

En contre-point, les magnifiques « miserere » de Scarlatti, joués et chantés par l’Ensemble Miroirs étendus, s’élèvent. Les instruments et la voix font entendre les mouvements de l’âme et soutiennent l’émotion. A l’instar de la pièce ou du tableau « Les Sept oeuvres de miséricorde » peint par Caravage, qu’un des personnages se fait offrir en cadeau, la musique baroque mêle le sacré et le profane. Un personnage, formidablement interprété par Sharif Andoura, lors d’un séminaire consacré à un musicien imaginaire Locualdo, inspiré de Carlo Gesualdo, « prince, musicien et criminel », se lance dans une analyse savante pour en expliquer les ressorts et les mystères secrets. Il dissèque avec flamme le combat inquiétant qui se joue entre l’harmonie et la dysharmonie. Des questions existentielles sont formulées. « Qu’est-ce que l’échec nous apprend sur les hommes ? «   Des réponses, également : « Je peux encore respirer sous la douleur », message d’espérance vers un idéal de lumière.


La Réponse des hommes, la dernière création de Tiphaine Raffier, frappe par sa maîtrise et sa force. Le spectacle sonde le coeur des hommes afin que, peut-être, ils se sentent touchés par la beauté de la création et qu’ils oeuvrent à sa sauvegarde.

Les LM (Elle aime) de M La Scène : LMMMMM


INTERVIEW DE THIPHAINE RAFFIER PAR MARIE-LAURE BARBAUD, M L SCÈNE

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