Critique La Ménagerie de verre
mise en scène Ivo van Hove
La Ménagerie de verre de Tennessee Williams, mise en scène par Ivo van Hove, est reprise au Théâtre de l’Odéon. Isabelle Huppert y incarne le personnage de la mère, vulnérable mais combattante.
L’impossible évasion
Pièce en un acte de Tennessee Williams écrite en 1944, The glass menagerie, puise sa force dans un soubassement autobiographique. L’auteur parlait de « memory play ». Tom, le narrateur, double du dramaturge, fait revivre l’appartement confiné de Saint-Louis qu’il habitait avec sa mère et sa soeur malade. Leur présence hante encore sa mémoire. Recréation par le souvenir de ce qui a été et n’est plus, la pièce offre une large place à la culpabilité.
Abandonnés par le père, le trio vivote et chacun se réfugie dans un espace intérieur protecteur. La mère, Amanda, ne cesse d’évoquer le Sud de sa jeunesse. Laura, la soeur « infirme », d’une timidité maladive, s’extrait de la réalité par la musique et l’entretien de sa collection de bibelots en verre, sa petite « ménagerie ». Quant au frère, Tom, il essaie de fuir l’atmosphère étouffante de l’appartement, la nuit, en allant » au cinéma » ou en traînant dans les rues à la recherche d’une aventure. Mais, l’évasion est impossible. Les personnages, enfermés dans leur histoire, ne peuvent que la ressasser.
Un décor trop appuyé
Cet enfermement intérieur, Ivo van Hove le donne à voir de façon explicite par le décor. Semblable à une boite spongieuse dont les couleurs et l’aspect évoquent le liège, il emprisonne les personnages dans un univers oppressant. Aucune ouverture vers l’extérieur n’est possible. Seul un escalier étroit permet de quitter l’habitat pour gagner la hauteur de la rue.
Le but du décor n’est pas de séduire – de fait, il est même repoussant – Au tout début, d’ailleurs, on se plaît à se remémorer celui qui accompagnait La Ménagerie de verre, mise en scène par Daniel Jeanneteau, au Théâtre de Gennevilliers. Cependant le décor fait sens. Mais, peut-être, de façon trop appuyée. Les murs recouverts de visages esquissés, ceux du père, la grande pièce sans meubles, en sous-sol, dont les coins n’offrent nulle échappatoire, tout évoque le paysage mental perturbé du narrateur. Tom, comme le magicien qu’il a vu en attraction au cinéma, aimerait sortir du cercueil qu’il habite, sans dommage. La lourdeur du décor témoigne de l’ambiance mortifère de l’appartement comme de l’impossibilité à s’en détacher sans souffrance.
Une mise en scène chorégraphiée
Ivo van Hove opte pour une rythmique visuelle forte. Les événements sont ponctués par la descente du rideau d’avant-scène. Ce choix, déroutant au début, interdit que le charme puisse opérer. Ce clap, quasi cinématographique, maintient le spectateur à distance. Il s’agit de la vision de Tom. Comme une paupière qui se ferme et s’ouvre, le rideau fragmente le souvenir pour le restituer par le prisme d’une douleur toujours présente. Au fil de la pièce, ces ruptures temporelles sont atténuées par la présence de musiques. Ces passerelles sonores souvent anachroniques ( par exemple, « L’Aigle noir » chanté par Barbara ) créent alors du lien et de la douceur.
La direction d’acteurs frappe par sa précision et sa vivacité. Isabelle Huppert incarne, avec une grâce de jeune fille, Amanda, la mère vulnérable mais qui se bat, de toute son énergie, pour surmonter le traumatisme de l’abandon de son mari. Tour à tour, castratrice, fragile ou résiliente, l’actrice étonne encore une fois, par son jeu à la partition si singulière. Cyril Gueï apporte, avec beaucoup de naturel, de l’humanité au personnage de Jim, le « prétendant ». La scène qu’il partage avec Justine Bachelet, baignée par les très belles lumières de Jan Versweyveld, est magnifique. Justine Bachelet, tout à fait étonnante dans le rôle de Laura, possède une empreinte au sol, souple et quasi animale. Leur duo, chorégraphié au geste près, séduit.
La Ménagerie de verre de Tennessee Williams, mise en scène par Ivo van Hove, à l’Odéon, ne laisse pas indifférent.
Les LM de M La Scène : LMMMMM
La Ménagerie de verre (reprise)
Odéon 6e 25 novembre – 22 décembre
de Tennessee Williams mise en scène Ivo van Hove
avec Isabelle Huppert, Justine Bachelet, Cyril Guei, Antoine Reinartz
Traduction française Isabelle Famchon
Dramaturgie Koen Tachelet
Scénographie, lumière Jan Versweyveld
Costumes An D’Huys Son et musique Georges Dhauw
Spectacle vu à l’odéon en 2021
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