Fleurs de soleil mise en scène Steve Suissa
Critique M La Scène : ♥♥♥♡♡
Avec une extrême sincérité, Thierry Lhermitte s’empare du récit de Simon Wiesenthal, Fleurs de soleil et livre un questionnement poignant sur la notion de pardon.
L’impossible pardon ?
Les Fleurs de soleil sont des tournesols. Sur les tombes des soldats allemands, morts au combat pendant la Seconde guerre mondiale, les nazis plantaient ces fleurs qui tournaient leurs corolles claires vers le soleil. Ces fleurs, Simon Wiesenthal les a vues sur le chemin qui le menait au camp de concentration de Janowska. Au plus profond de sa nuit, il enviait les soldats allemands enterrés auxquels les tournesols apportaient lumière et messages. Quand son corps serait jeté dans une fosse commune, enseveli sous d’autres corps décharnés, aucun tournesol ne viendrait éclairer son sinistre tombeau, pensait-il.
Par ce titre métaphorique, Simon Wiesenthal évoque la consolation qui attend tout soldat SS, à sa mort. Consolation déniée à toutes les victimes de leurs crimes, à toutes les victimes de leurs exactions, celles qui n’auront jamais de tombes sur lesquelles on puisse se recueillir.
Survivant de la Shoah, Simon Wiesenthal est mondialement connu pour sa traque des criminels nazis. Dans ce récit autobiographique poignant, il raconte un épisode qui n’a cessé de le hanter. Celui où, par une journée ensoleillée de 1942, un soldat SS, à l’agonie, le fit venir dans sa chambre pour qu’il recueille sa confession. Choisi au hasard parmi les déportés, le narrateur n’est là que parce qu’il est juif. C’est d’un Juif que le SS attend le pardon. Peu importe lequel. Au terme de cette confession terrible, Simon Wiesenthal ne répondra que par le silence. Refusant à l’assassin de laver sa culpabilité pour que le criminel puisse mourir apaisé.
L’humain est dans la persévérance
Avec sincérité et sobriété, Thierry Lhermitte, seul en scène, incarne à la fois Simon Wiesenthal et Karl, le SS agonisant. Il prête également sa voix, à certains des philosophes, des écrivains, des politiques ou hommes pieux, qui ont nourri la réflexion du narrateur et tenté d’apporter une contribution à la réponse que celui-ci recherchait. Avait-il eu raison de ne pas donner son pardon au jeune allemand ? La présence hiératique de l’acteur confère au spectacle une grande dignité.
Le décor minimaliste, sculpté par les lumières de Jacques Rouveyrollis, fait exister à la fois l’enfer de la déportation et les affres de la conscience dans laquelle se débat le narrateur. On regrette juste que la mise en scène de Steve Suissa fasse, à plusieurs reprises, sortir et rentrer le comédien, enlevant de la force et de la cohérence au dispositif choisi.
Il n’en demeure pas moins que se réaffirme, à travers les mots de Simon Wiesenthal, une grande aspiration à une humanité retrouvée. « L’humain est dans la persévérance » est la phrase qui clôt le spectacle. Alors que se célèbre le 75ème anniversaire du camp d’Auschwitz et que les actes antisémites progressent en France, il est salutaire qu’un acteur populaire comme Thierry Lhermitte s’empare avec gravité de ce texte majeur qui questionne les frontières de l’humain. ♥♥♥♡♡
Fleurs de Soleil de Simon Wiesenthal
Théâtre Antoine du 16 janvier au 29 mars 2020
Adaptation Daniel Cohen et Antoine Mory
Mise en scène Steve Suissa
Avec Thierry Lhermitte
Lumières Jacques Rouveyrollis
Décor EmmanuelleRoy Son Maxime Richelme
Vidéo Yohann Jaffres
Costumes Cécile Magnan
Avec les voix de François Berland, Bernard Campan, Pascal Demolon, Thierry Gondet, Jochen Hägele, Chritiane Millet, Cristiana Reali, Laurent Stocker
de la Comédie-Française.
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