Eraser Mountain mise en scène Toshiki Okada

799

Eraser Mountain, du metteur en scène japonais Toshiki Okada, présente un monde dévasté et chaotique. Les humains désorientés et chosifiés errent parmi des objets inertes qu’ils espèrent réanimer. Un théâtre radical où le temps est trop étiré.

Des choses et des êtres

Au Japon, Rikuzentakata (陸前高田), dans le sud de la préfecture d’Iwate, a été l’une des villes les plus durement touchées par le tremblement de terre et le tsunami de 2011. Le centre de l’agglomération a été rayé de la carte par des vagues gigantesques. Afin d’éviter un nouveau désastre, les autorités ont décidé de reconstruire le centre-ville, mais en le surélevant de plus de dix mètres. Pour alimenter le chantier monumental en terre, les tractopelles ont attaqué des montagnes existantes et les ont effacées. 

Pour Toshiki Okada, cette modification du site naturel choque et pose problème. Effacer la montagne, c’est à la fois effacer la mémoire du lieu et placer l’homme comme démiurge. « Ce chantier incarnait un mode de pensée très anthropocentrique. C’est la raison pour laquelle j’ai voulu réfléchir à la manière dont le théâtre pouvait être moins anthropocentrique, parce que c’est au départ un art très centré sur l’homme. »  Par le théâtre, il s’agit donc de repenser le rapport entre les choses et les êtres. Et notamment, d’offrir une place aux choses qui soit égale à celle des hommes.

Toshiki Okada parle de « théâtre des choses » . Sa recherche artistique porte sur un rééquilibrage de la relation entre les objets et ceux qui les utilisent, les manipulent et les soumettent. Comment rendre compte sur scène d’un monde dont l’homme n’est plus le centre ?

Un monde dévasté et chaotique

Toshiki Okada a fait appel à l’artiste et sculpteur Teppei Kaneuji pour réaliser la scénographie du spectacle. Quand nous entrons dans la salle, nous découvrons un amas hétéroclite d’objets disséminés sur le plateau. Cage de gardien de foot, tuyaux, bidons bleus, balles de tennis jaunes, blocs carrés ou ronds de polystyrène, structure triangulaire, néons, planches, poteaux divers et variés, plots orange, tronc d’arbres, petite fontaine, constituent pourtant un ensemble coloré qui semble organisé. Comme un chantier en attente de démarrage. L’impression est renforcée par un bruit de travaux, à 74 décibels, qui ne cessera pas tout au long de la première partie. 

Eraser Mountain est, en effet, construit en trois séquences. La première met en scène des êtres qui paraissent complètement désorientés. Ils errent parmi les objets sans savoir quoi en faire. Lorsque ces « humains »  prennent la parole, ils tiennent un micro dont le fil les relie encore à un engin. Leurs logorrhées, d’une platitude pathétique, laisse transparaître leur inaptitude à comprendre, comment une machine à laver a pu tomber en panne et pourquoi elle n’est pas réparable. Enfin, après avoir évoqué l’affection qui les liait à cet objet, ensemble, à partir d’autres objets, ils dressent un mausolée à la machine décédée. Puis, ils remettent les éléments tombés au sol, à leur place initiale. Le monde dévasté et chaotique n’offre plus de place claire aux hommes. En ce sens, la scénographie de Teppei Kaneuji, animée par de belles lumières, éclaire ce « théâtre des choses » où l’homme n’est plus au centre du plateau.

La liberté d’être défectueux

La seconde partie laisse place à un univers où les humains s’interrogent sur des objets qu’ils ne reconnaissent plus. Des grésillements ont remplacé les bruits de travaux. Les acteurs sont dotés de microphones, cette fois-ci autonomes. L’un d’entre eux dialogue avec une image de femme projetée sur une planche. Telle une poupée désarticulée, prisonnière de ce reflet d’elle même, l’oratrice constate la soumission des hommes au temps.

La dernière séquence, elle, se déploie dans un silence total. Au ralenti, les humains réalisent des cadavres exquis. Sur deux planches-écrans, ils projettent et testent des assemblages entre des parties de leurs corps et des bouts d’objets ou de tissus. Comme s’ils cherchaient des correspondances identitaires entre eux et les choses, comme s’ils essayaient d’établir des connexions, une parenté avec les objets. Le dernier discours revendique pour les éléments le droit de rouiller, d’être défectueux. Et, défend la beauté du lierre qui enroule ses tentacules rouges autour du béton. Sans l’action de l’homme, les choses témoignent de ce qui a pu être. Elles continuent à vivre, métamorphosées par les mouvements alanguis du temps. 


Toshiki Okada interroge véritablement la place de l’homme dans un monde qu’il tente de façonner sans en comprendre le sens. Les thématiques de son travail radical, quasi expérimental, ne peuvent qu’intéresser mais l’aridité du traitement et l’étirement de la temporalité n’incitent pas le spectateur à l’adhésion. ♥♥♡♡♡


Eraser Mountain

Dramaturgie et mise en scène : Toshiki Okada 

Scénographie : Teppei Kaneuji 

Avec : Izumi Aoyagi, Mari Ando, Yuri Itabashi, Takuya Harada, Makoto Yazawa, Leon Kou Yonekawa 

Costumes : Kyoko Fujitani 

Le T2G – Théâtre de Gennevilliers et le Festival d’Automne à Paris sont coproducteurs de ce spectacle et le présentent en co-réalisation.


Intéressés par une autre critique de M La Scène d’un spectacle de création contemporaine japonaise au T2G ? Celle-ci pourrait vous plaire : critique La Forteresse du sourire

laissez un commentaire

Nous utilisons des cookies pour vous garantir la meilleure expérience sur notre site. Si vous continuez à utiliser ce dernier, nous considérerons que vous acceptez l'utilisation des cookies. Accepter En savoir plus