Critique Wonnangatta

Mise en scène Jacques Vincey

91
Wonnangatta
© Christophe Raynaud de Lage

Aux Plateaux sauvages, Wonnangatta, la nouvelle création de Jacques Vincey, met en scène un face à face puissant au cœur d’une nature hostile. Soutenue par deux grands acteurs, Serge Hazanavicius et Vincent Winterhalter, l’écriture âpre et ardente d’Angus Cérini, traduite en français par Dominique Hollier, se déploie comme un souffle rugueux, à l’assaut d’une vérité qui n’existe pas.

Le souffle épique de Wonnangatta

La pièce Wonnangatta s’inspire d’un fait divers qui hante encore la mémoire collective australienne : un double meurtre jamais élucidé survenu en 1917, dans une région sauvage du bush, près de Victoria. Jim Barclay, éleveur isolé dans cette vallée difficile d’accès, est retrouvé mort par son ami Harry, venu comme chaque mois lui livrer du courrier. Accompagné de Riggall, un compagnon de route appelé à l’aide, Harry découvre le corps de Jim à moitié enseveli au bord d’une rivière, la tête rongée par les chiens errants. Il s’agit alors de trouver un coupable. Ce décor brutal et reculé devient le théâtre d’une enquête aussi étrange qu’angoissante.

Wonnangatta The Sunday Times
© The Sunday Times
Wonnangatta James Barclay
Photo via ABC Gippsland / East Gippsland Historical Society
Wonnangatta Howitt hut
Photo : Museums Victoria Collections

Wonnangatta, d’après une histoire vraie, du dramaturge australien, Angus Cerini restitue ce cold case avec une langue unique, à la fois rugueuse et poétique. La nature omniprésente, oppressante, y joue un rôle central. Le texte est entièrement porté par les voix des deux protagonistes. Le récit progresse ainsi au fil des dialogues, sans narration extérieure, comme un souffle haletant. Jacques Vincey insiste sur l’originalité de cette écriture « dans sa forme rèche, anguleuse, aux répliques très courtes. qui passe sans cesse d’un rapport au public, c’est-à-dire d’un mode de récit, à un mode dialogue, donc un mode dramatique. Celle-ci permet  selon lui « d‘exalter cette histoire de vengeance, de meurtre, et d’amitié. »

En effet, la dramaturgie naît des mots, des silences, des évocations du paysage. Plus qu’un décor, cette nature hostile devient une force dramatique en soi, qui façonne les personnages autant qu’elle les entrave. Collines, rivière, sable, buissons, arbres arrachés, vent, neige, sont autant d’épreuves semées sur la route des deux hommes en quête de vérité. Toute la richesse de la pièce réside dans une tension entre dépouillement et densité, entre le réalisme brut et une écriture profondément musicale.

Un chaos de granit

Dans Wonnangatta, il n’y a pas de certitudes, seulement des traces. Celles d’un homme disparu. Celles d’un autre qui cherche, et d’un second qui le suit sans trop savoir pourquoi. Surement par amitié. Il ne s’agit pas vraiment d’une enquête. C’est une marche, une errance, une tentative de comprendre quelque chose dans un paysage immense qui ne cesse de refermer les pistes. Les dialogues cherchent une prise dans un monde qui ne répond pas. Entre les deux personnages, la langue devient un feu qu’on alimente pour ne pas disparaître. Un feu fragile, vacillant, autour duquel ces deux hommes construisent leur humanité — ou ce qu’il en reste. Ils finissent, d’ailleurs, par hurler comme des chiens sauvages.

Le scénographie imaginée par Caty Olive et Jacques Vincey, est à l’image de cette perplexité qui gagne lentement l’esprit des protagonistes. Vincent Winterhalter, qui interprète Harry et Serge Hazanavicius, qui campe Rigall, se tiennent debout, immobiles, lorsque les spectateurs s’installent. Le plateau est plat, nu. Seul un tube de néon éclaire les comédiens. Puis, au fil de leur avancée, le sol se désagrège pour devenir « un chaos de granit » . Constitué de mille huit cinquante cubes de mousse polyéthylène dense, le plateau se métamorphose en un champ de ruines où toute certitude s’effondre.

Wonnangatta Jacques Civey
© Christophe Raynaud de Lage

Le plateau démembré devient, selon l’expression de Jacques Vincey, un « terrain de jeu »  , dans tous les sens du terme. Les cubes, que manient les acteurs, sont autant d’éléments qui rappellent l’enfance. Ce morcellement constitue une trouvaille majeure. Il ouvre la voie à l’imaginaire. Devenu décor, il offre toute possibilité au jeu. C’est le sable bourbeux qu’Harry et Rigall extraient de la rivière pour dégager le corps de leur ami. Les cubes sont aussi les collines pentues sur lesquelles les pieds ripent, les broussailles qui entravent les pas, les montagnes qui rythment le paysage traversé, comme les pierres d’une cabane.

Un duo la hauteur du texte

Les lumières inspirantes de Caty Olive accompagnent la traversée houleuse des deux hommes et construisent les différents tableaux de leur épopée. Souvent crépusculaires, brumeuses, ou plus chatoyantes, elles oscillent du gris à l’orangé. Elles participent, comme la musique et la bande son (Alexandre Meyer) à faire exister la nature sauvage et menaçante. Le brouillard, le vent, le chant des oiseaux, le bourdonnement des mouches, ainsi que les hurlements des loups, tout concourt à donner une épaisseur à une nature partie prenante de l’aventure vécue.

Au coeur du plateau jonché de pavés disjoints et du monde chaotique qu’ils font vivre, les deux comédiens Serge Hazanavicius et Vincent Winterhalter impressionnent. Le texte millimétré d’Angus Cérini, traduit par Dominique Hollier, où chaque mot ou intonation, comme dans une partie de ping pong, répond à un autre, est d’une exigence rare. Serge Hazanavicius et Vincent Winterhalter relèvent le défi haut la main. A l’intensité de porter le texte et d’en restituer la poésie et la puissance, se mêle l’engagement physique. 

Wonnangatta commence dans un espace contraint, dans lequel les comédiens paraissent figés. Mais, très vite, l’enquête, la marche, la soif de vengeance, l’errance, leur chevauchée ( non dénuée d’humour, mimée à la Monty Python ), bouleversent ce qui était immobile. La confrontation avec les éléments prend une réalité concrète sur scène. Les cubes mouvants, instables, constituent, on le sent, un réel danger. Alors même que les acteurs les manipulent, les escaladent, rampent, ou s’arrachent de leur gangue grise. Cette grande présence au jeu installe avec force une belle complicité entre les deux comédiens. 

 Dans Wonnangatta, Jacques Vincey signe une mise en scène épurée et tendue, qui laisse toute sa place à la puissance du texte et au jeu des comédiens.

Les LM de M La Scène : LMMMMM

Retrouvez prochainement notre Interview Exclusive de Jacques Vincey sur le Plateau des Espaces Sauvages

Woonangata M La Scène
© Edouard Garnier

Wonnangatta

Les Plateaux sauvages

Texte Angus Cerini

Mise en scène Jacques Vincey

Avec Serge Hazanavicius et Vincent Winterhalter

Traduction Dominique Hollier.
Collaboration artistique Céline Gaudier;
Scénographie Caty Olive et Jacques Vincey.
Création lumière Caty Olive, Création musicale Alexandre Meyer.
Costumes Anaïs Romand.
Regard chorégraphique Stefany Ganachaud.
Régie générale Sébastien Mathé; Régie son Maël Fusillier; Régie lumière Thomas Cany.


Lire une autre critique récente de M La Scène  ? Celle-ci pourrait vous intéresser : Critique Les Bijoux de pacotille, mise en scène Pauline Bureau