Critique Nos âmes se reconnaîtront-elles ?
Texte et mise en scène Simon Abkarian

Au Théâtre des Amandiers, Nos âmes se reconnaîtront-elles ?, la nouvelle création de Simon Abkarian éblouit par son intensité. Aux côtés de Marie-Sophie Ferdane, en majesté, Simon Abkarian construit un vibrant et poétique face à face où l’amour défie les lois de la vengeance.
L’amour comme force de lumière
Le couple mythique, Hélène et Ménélas, ne cesse d’inspirer l’écriture de Simon Abkarian. Le comédien et dramaturge avait récemment repris au Théâtre de l’Epée de bois, Ménélas Rébétiko Rapsodie, une œuvre mettant en lumière la douleur de ce roi, exprimée à la hauteur de son amour perdu. Dans Hélène après la chute, Simon Abkarian explorait le personnage d’Hélène sous un jour nouveau. Au cœur du palais de Troie, l’ancienne reine de Sparte, consciente de la haine que lui vouaient les Grecs, se retrouvait face à Ménélas, l’époux qu’elle avait abandonné et humilié. Pourtant après dix années marquées par la guerre et la rage de détruire, le prénom d’Hélène était encore aimé.
Nos âmes se reconnaîtront-elles ? , comme une mélodie qui se poursuivrait, en reprend le motif. Troie est la proie du carnage et des flammes. Les Grecs, consumés par un désir de vengeance inextinguible, exterminent sans pitié les habitants. Les murs de Troie sont désormais maculés de sang. Les captives de haut rang, comme Hécube, Andromaque ou Cassandre, réduites à l’esclavage, deviennent les trophées des généraux grecs victorieux. Le sort d’Hélène est encore en suspens.
Dans un palais déserté que le chant habite encore, un homme entre. Il tient un couteau, prêt au sacrifice. En proie à l’indécision, Mélénas cherche une femme. Celle « qui lui vola sa jeunesse » . Celle qu’il continue à appeler sa femme. Au cœur des ténèbres et de la tragédie, le roi de Sparte et celle qui fut reine, semblent encore guidés l’un vers l’autre. La poésie et la force des mots échangés clament que l’amour est force de lumière.
L’écrin scénograhique
Nos âmes se reconnaîtront-elles ? prend place dans un décor épuré. Un encensoir, semblable à ceux que l’on retrouve dans les églises orthodoxes, est posé en avant-scène. Le spectacle s’ouvre d’ailleurs sur un rituel. Une femme s’avance et allume une bougie. Semblable à une offrande, la fumée de l’encens s’élève. Bientôt, la femme s’assoit près du musicien qui se trouve à jardin dans une sorte d’alcôve, habillée de tissus blancs. Dès lors, les sons mélodieux du saz à sept cordes et les chants de Ruşan Filiztek et Eylül Nazlier ne cesseront d’accompagner et de ponctuer l’avancée du récit. Ainsi que le revendique Simon Abkarian, sans le chant et la danse « la tragédie est irrespirable » .
Le plateau est vide à l’exception d’une estrade qui trône légèrement décentrée vers l’avant. La structure en bois tient à la fois d’un autel dédié aux dieux et d’une table du sacrifice. Peinte en rouge, elle évoque également par son architecture un torii japonais qui relierait le sacré et le profane. Espace avant tout de la parole, les comédiens, Simon Abkarian et Marie-Sophie Ferdane, s’y dressent avec force et dignité. Parfois, ils y dansent, portés par le son des instruments orientaux et le chant mélodieux des musiciens kurdes. L’ensemble est nimbé par les magnifiques lumières de Jean-Michel Bauer. Celles-ci créent l’écrin coloré qui sculpte l’espace et les corps en mouvement.
Au cœur de la nuit qui les environne, le combat que les personnages mènent contre eux-mêmes, passionne. Vulnérables, ils restent à la merci des assassins qui réclament leur dû. Mais, la beauté de la langue qu’ils partagent et le souvenir de ce que fut leur amour, les maintiennent magnifiquement debout. Marie-Sophie Ferdane y est extraordinaire de puissance et d’émotion. Simon Abkarian, par sa mise en scène et ses mots, offre à l’actrice un rôle à sa pleine mesure. Reine, enfant blessée, femme éperdue, prêtresse moderne, désirante et sensuelle, la comédienne, en majesté, éblouit.
Dans sa dernière création, Nos âmes se reconnaîtront-elles ? les mots de Simon Abkarian, empreints de douleur et de désir, deviennent une mélodie vibrante, un écho d’humanité dans l’abîme. Dans cet entrelacs de tragédie et de passion, la scène révèle la puissance des sentiments et la beauté fragile de l’âme humaine. Là où tout semble perdu, la poésie des cœurs éclaire une voie. Comme un chant jamais éteint.
Les LM de M La Scène : LMMMMM
Nos âmes se reconnaîtront-elles ?
16 janvier — 2 février 2025
Texte et mise en scène Simon Abkarian
Avec Simon Abkarian et Marie-Sophie Ferdane
Collaborateur artistique Pierre Ziadé
Lumière Jean-Michel Bauer
Accompagnement musique et voix Ruşan Filiztek et Eylül Nazlier
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