
Le Munstrum Théâtre s’attaque au Macbeth de Shakespeare. Le “k”, ajouté en son milieu, tranche le texte comme une hache. Il en libère la sauvagerie sanglante. Makbeth, vision punk et baroque de la tragédie, transforme le monstre en miroir. Un théâtre total, brutal, cathartique.
Makbeth, le rugissement du mal
Ce petit k ajouté change-t-il tout ? Makbeth, signé du Munstrum Théâtre, s’empare du chef-d’œuvre ténébreux de Shakespeare comme d’un corps à disséquer. K, comme une hache qui taillerait dans le texte et en libèrerait la fureur et la sauvagerie sanglante. Louis Arene et Lionel Lingelser font jaillir du texte une matière brute, âpre, traversée de visions grotesques et d’images baroques et violentes. Le mal suinte partout. Les monstres sortent des ténèbres. Et dans ce chaos scénique, la tragédie élisabéthaine retrouve une vitalité primitive, débarrassée des vernis académiques.
Depuis 2012, la compagnie cultive un théâtre du corps, de la métamorphose et du vertige. Le masque y tient lieu d’étendard. Sculptés dans une résine médicale, sans ornements ni couleurs, ces masques-casques effacent les visages. Ils transforment les acteurs en figures singulières, totémiques, où l’œil seul devient un passage vers l’âme. « Nous voulions un objet capable d’exprimer l’étrangeté, l’inquiétude », dit Louis Arene. Le masque fait du visage une surface de projection pour l’imaginaire et l’angoisse. Car, il révèle en creux la barbarie qu’il cache. Ce dispositif confère au spectacle une tension charnelle, entre l’humain et le monstre.

La catharsis par le chaos
Le plateau est une lande saturée de brume. Le roi Duncan grotesque et ventru évoque l’Ubu roi de Jarry. Lady Makbeth, hiératique, se déhanche sur un tube disco lancé sur un gramophone. Le sang gicle, la lumière gronde, les corps chutent. Tout est excès, outrance, fureur. Le Munstrum pousse Shakespeare vers la transe. Le grotesque devient une arme politique. Car ici, la guerre n’est pas seulement celle d’Écosse. Elle est la nôtre. La sauvagerie du monde s’invite sur scène, miroir d’une humanité corrompue par l’ambition et la peur. Makbeth, aveuglé par sa soif de pouvoir, n’en finit pas moins terrifié. Contraint de se réfugier sur un trône pathétique et illusoire, les barreaux d’une chaise d’arbitre, dégoulinante de sang.
Dans cette création du Munstrum Théâtre, rien n’est laissé au hasard. L’esthétique est soignée, millimétrée. Chaque détail compte. Les lumières crépusculaires de Jérémie Papin et Victor Arancio sculptent l’espace. Elles enferment souvent les personnages dans leur folie, par une triangulation de faisceaux tamisés. Le jour dispute à peine sa survie face aux ténèbres et au chaos. Les lasers cisaillent la nuit. La fumée absorbe les corps. Des coups claquent, antichambre sonore de la mort en marche. L’hémoglobine gicle à tout va. Elle flirte allègrement avec les excès du grand guignol. On peut rire de l’horreur, mais elle s’affiche sans filtre dans les corps suppliciés. Sous cette beauté formelle, la violence devient matière à contemplation et à réflexion.
Cependant, au cœur de cette spirale sanglante demeure une flamme. La joie. Celle, paradoxale, qui naît de la traversée des ténèbres. « La joie, c’est notre fer de lance. », affirme Lionel Lingelser. Le Munstrum Théâtre croit encore en la puissance cathartique du théâtre. En cette alchimie capable de transformer le plomb du désastre en or de la délivrance. Contempler Makbeth et sa terrible noirceur, participe à un rituel initiatique. Le mal se regarde en face pour y reconnaître l’humain.
Makbeth, du Munstrum Théâtre s’apparente à une plongée dans la chair du mal, un face-à-face avec nos ténèbres intérieures. Un théâtre de l’abîme comme traversé d’une lumière brûlante, celle de la vie, furieuse et indomptable.
L’Avis de M La Scène : MMMMM
Makbeth
une création du Munstrum Théâtre,
d’après William Shakespeare.
Distribution
Mise en scène Louis Arene.
avec Louis Arene, Sophie Botte, Delphine Cottu, Olivia Dalric, Lionel Lingelser, Anthony Martine, François Praud, Erwan Tarlet.
conception Louis Arene, Lionel Lingelser,
Traduction /adaptation Lucas Samain en collaboration avec Louis Arene,
Collaboration à la mise en scène Alexandre Ethève.
Chorégraphie Yotam Peled.
Dramaturgie Kevin Keiss.
Assistanat à la mise en scène Maëliss Le Bricon.
Scénographie Mathilde Coudière Kayadjanian, Adèle Hamelin, Valentin Paul, Louis Arene.
Création lumière Jérémie Papin, Victor Arancio.
Musique originale & création sonore Jean Thévenin & Ludovic Enderlen.
Costumes Colombe Lauriot Prévost assistée de Thelma Di Marco Bourgeon, Florian Emma.
Masques Louis Arene, coiffes Véronique Soulier Nguyen.
direction technique, construction, figuration Valentin Paul,
Effets de fumée & accessoires Laurent Boulanger.
Accessoires, prothèses & marionnettes Amina Rezig, Céline Broudin, Louise Digard, renforts accessoires & costumes Marion Renard, Agnès Zins, Ivan Terpigorev,
Stagiaires costumes Morgane Pegon, Elsa Potiron, Manon Surat, Agnès Zins. Stagiaires lumière Tom Cantrel, Gabrielle Fuchs. Fabrication costumes avec le soutien de l’atelier des Célestins, Théâtre de Lyon.