Critique Avant la terreur

mise en scène Vincent Macaigne

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Six ans après sa dernière création, Vincent Macaigne s’empare très librement du Richard III de Shakespeare et livre avec Avant la terreur, un spectacle nourri de folie et de fureur. Porté par l’engagement sans faille des comédiens, la pièce s’impose avant tout par son dynamisme.

Avant la terreur Macaigne
© Simon Gosselin

Ne cherchez pas le modèle

Le titre choisi par Vincent Macaigne est programmatique. Avant la terreur n’est pas une mise en scène du Richard III de Shakespeare. Pour le metteur en scène, l’intérêt de l’Histoire d’Angleterre réside, avant tout,  dans « son aspect aberrant : des catastrophes en boucle et des assassinats en série entre familles prétendantes au trône » . Les meurtres, la folie, la cruauté restent donc présents, mais l’architecture de la tragédie est balayée.

Dès les premiers instants, il s’agit d’oublier Shakespeare et Richard III. Une femme, habillée de strass, armée d’un micro, nous y invite. Enveloppée dans un brouillard de fumée, elle adresse au public des injonctions, tout en les susurrant : « Fermez les yeux. S’il vous plaît… Oubliez Shakespeare, oubliez Richard III, oubliez votre avenir. Ici, les personnages sont des continents. Des pays. »  Puis, elle ouvre la danse et enjoint le public à rejoindre les personnages sur scène. Comme souvent chez Vincent Macaigne, tout commence par une envie de partage et de fête au sein du théâtre. Le plateau enfumé se transforme alors en une gigantesque party, dans un déluge de sons et de lumières rouges, clignotantes.

Richard, le personnage éponyme de Shakespeare, (Pascal Rénéric) n’échappe pas à la « relecture » . Loin d’être doté d’intelligence et de sens politique, il apparaît ici comme un imbécile, manipulé par un plus stupide que lui (Sharif Andoura). Il traîne des difformités dues à l’avortement qui n’a pas marché et souffre de n’être pas aimé. Face aux atrocités qu’il commet, sa mère clame : il n’est pas né « par son sexe mais par ses fesses » . Lorsqu’il apparaît, il n’est qu’une silhouette, une ombre grise, sans visage, prise dans un halo blanc, accompagné de lumières stroboscopiques agressives. Vision antithétique de celle d’un prétendant au trône, qui serait un fin stratège, planifiant et organisant dans le sang, son accession à la couronne.

Le dysfonctionnement du monde

L’action prend place dans une grande boîte blanche, aux murs craquelés et sales. Deux graffitis, près du haut plafond, peuvent se lire. « A l’aide »  est-il écrit à la hâte, comme si, quelqu’un avait cherché à s’échapper sans y parvenir. A cour, un grand escalier en colimaçon, mène à une porte et symbolise la Tour de Londres. Quant au plateau, il est, dès le début, maculé de terre noire. Bientôt, divers substances (hémoglobine, boue visqueuse…) viendront contribuer à en entacher la surface. Le palais dévasté des Tudor renvoie l’image d’un monde qui dysfonctionne, où la violence et chaos règnent en maîtres.

A l’intérieur de ce monde clos, les personnages interagissent avec bruit et fureur. Des coups de feu intempestifs retentissent. Georges (Sharif Andoura, exceptionnel – il faut le voir haranguer la foule, en débitant des âneries avec la conviction des crétins dangereux- tire ainsi pour n’importe quoi. Le public malmené sursaute et souvent rit. Des hommes et femmes sont munis de mitraillettes pour accompagner les prises de parole de ceux qui veulent prendre le pouvoir. Des canons propulsent des paillettes dorées et participent au vacarme général.

Le spectacle, comme souvent chez Vincent Macaigne est aussi dans la salle. Les acteurs s’adressent frontalement au public mais parlent aussi de l’endroit où il se trouve. Ils s’y apostrophent avec vivacité et force. Il faut le dire, tous les comédiens mènent tambour battant cette chevauchée sanglante ponctuée par le crime et la douleur. Ils impulsent un dynamisme indéniable à la représentation, placée sous le signe du sang et de la terreur. L’acmé de l’horreur prend place lors du meurtre sur scène du jeune fils, prétendant au trône. L’affrontement entre Max Baissette de Malglaive, au jeu saisissant et Pascal Rénéric, aux fulgurances sidérantes de sociopathe, est glaçant. 

 Avant la terreur est, certes, nourri de procédés connus inhérents aux mises en scène de Vincent Macaigne, mais, il se dégage de l’ensemble un sentiment d’urgence et de danger qui ne peut qu’interpeller en ces temps où des menaces pèsent sur la démocratie et la culture.

Les LM de M La Scène : LMMMMM

Avant la terreur

de Vincent Macaigne

La Colline Théâtre National

Jusqu’au  au 27 juin 2024

écriture, mise en scène, conception visuelle et scénographique Vincent Macaigne
très librement inspiré de Richard III de William Shakespeare
avec Sharif Andoura, Max Baissette de Malglaive, Candice Bouchet, Thibault Lacroix, Clara Lama Schmit, Pauline Lorillard, Pascal Rénéric, Sofia Teillet et des enfants en alternance : Camille Amétis, Clémentine Boucher-Cornu et Mia Hercun
assistanat à la mise en scène Clara Lama Schmit
lumières Kelig Le Bars assistée de Edith Biscaro
accessoires et régie générale adjointe Lucie Basclet
vidéo Noé Mercklé-Detrez, Typhaine Steiner
son Sylvain Jacques, Loïc Le Roux
costumes Camille Aït Allouache
régie générale François Aubry dit « Moustache », Sébastien Mathé
collaboration scénographique Carlo Biggioggero, Sébastien Mathé


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