Critique Heimweh / Mal du pays

mise en scène Gabriel Sparti

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Heimwehl
© Juliette Viole

Dans Heimweh / Mal du pays, Gabriel Sparti distille un humour grinçant pour dénoncer les travers de son pays natal, la Suisse. L‘absurde est volontairement convoqué pour se jouer des clichés et faire naître le malaise, comme le rire.

Être correct plutôt que vivant

Entrer dans Heimweh / Mal du pays demande de se laisser porter par le rythme imposé. Forcément lent. Cliché obligé puisque le pays évoqué se trouve être la Suisse. Mais au-delà des évidences, se perçoit très vite une volonté de créer un malaise. Le titre est programmatique. Le Mal du pays (« Heimweh »  en allemand) n’apparaît pas comme l’expression d’une quelconque nostalgie, mais comme celui d’une souffrance. La lenteur, volontairement travaillée comme objet théâtral, parvient à éclairer les parts sombres d’un pays dont le conformisme tue l’élan de vie. Gabriel Sparti revendique l’idée d’un « pamphet » . Ainsi que l’écrivait Fritz Zorn, dans son récit autobiographique Mars, en Suisse,  « quiconque agit dérange » .

Le spectacle s’organise en trois parties. Dans le noir, c’est sur un air fredonné au loin, que s’ouvre la première. Très lentement, des lueurs chaudes animent le décor. Constitué de trois arches, celui-ci rappelle l’architecture des villes sans âme peintes par Giorgio De Chirico. La poésie de l’éclairage (Nora Boulanger-Hirsch) étonne et séduit. Alors que les éclats fugaces du premier soleil jouent parmi les pierres, au petit matin, un homme entre et se pose sur un banc face au lac. Cet éclairage sera repris à la fin. Comme dans une tragédie ordinaire, dans la lumière du jour finissant, les quatre interprètes (Donatienne Amann, Karim Daher, Alain Ghiringhelli et Orell Pernot-Borràs) s’assoient sur le même banc. L’immobilisme a eu raison de toute velléité de révolte.

Bonbon et canons suisses

Entre ces deux moments, une lumière purement utilitaire éclaire le plateau, comme la salle. Le public est convié à une sorte de casting, où trois individus de nationalité suisse doivent se présenter. Ils entrent à pas feutrés et font très vite communauté. La « formule » vire au cauchemar pour celui qui tente de les faire parler. Les échanges, étirés, parfois un peu trop longuement dans le temps, déclenchent souvent le rire. L’intervenant, comme les spectateurs, sont totalement oubliés. Le quant-à soi est un refuge. Ils bavardent, se chuchotant de petites informations sans intérêt. Chaque geste semble empreint d’indolence. Sortir un bonbon, forcément un Ricola à la sève de pin, comme ranger une carte de visite, chaque non-événement s’appesantit dans l’espace et le temps.

Lorsque la violence finit par naître de l’exaspération, le silence et la gêne seuls y répondent. Puis, les personnages se réfugient dans le chant. Chanter en canon offre une échappatoire, celle de se fondre dans le groupe, de fuir le conflit. Le rire qui fuse lorsque les quatre interprètes entament « Le Gai printemps » en choeur, naît de la forte charge satirique qui s’exprime en creux. « Oui, c’est lui, le voici le gai printemps. Il nous vient le visage ensoleillé. Sur ses pas, les enfants émerveillés, chantent joyeux le retour du mois de mai charmant. Tra la le ra la la !  » . Ainsi que le déclare Gabriel Sparti, attendre, faire semblant pour ne par agir, revient à être complice de ce qui n’est pas dénoncé ou combattu.

Le spectacle se clôt sur un chant patriotique. « Prends mon cœur et mon sang et ma chair /Prends mon cœur et mon sang et ma chair /Je te rends tout ce que je te dois, tout ce que je te dois/ Ô petit pays »  . Repris à nouveau en canon, Ô petit pays, apparaît comme l’ultime rempart pathétique au désarroi, au cancer, qui rongent les êtres prisonniers d’un conformisme sclérosant et d’une terre qui n’offre aucune issue.

 

Heimweh / Mal du pays transcende la simple lenteur helvétique stéréotypée pour livrer une exploration étonnante à la fois sombre et caustique. Gabriel Sparti joue habilement de cette apathie comme outil dramaturgique, mais aussi comme vecteur d’humour et de satire.

Les LM de M La Scène : LMMMMM

Heimweh / Mal du pays

Théâtre de la Bastille

du 13 au 24 janvier

Mise en scène Gabriel Sparti

  • Avec Donatienne Amann, Karim Daher, Alain Ghiringhelli et Orell Pernot-Borràs
  • Écriture collective Gabriel Sparti, Yann-Guewen Basset, Donatienne Amann, Karim Daher, Alain Ghiringhelli et Orell Pernot-Borràs
  • Création lumière et son Nora Boulanger-Hirsch
  • Scénographie Mathilde Cordier
  • Dramaturgie Yann-Guewen Basset
  • Regard dramaturgique Léa Romoli
  • Répétiteurs pour les chants Émile Schaffner et Yann Hunziker
  • Construction de décor Olivier Waterkeyn

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