Critique Lieux Communs
Mise en scène Baptiste Amann
Lieux Communs de Baptiste Amann interroge, à partir d’un fait divers actuel et fictif, les écueils auxquels notre société extrêmement polarisée peut être confrontée. Sans aucun manichéisme, ni jugement, la représentation totalement maîtrisée renvoie le spectateur à ses propres clichés.
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Faire communauté
Le spectacle s’ouvre sur le plateau baigné d’un bleu outremer profond. La structure, qui constitue le décor, se devine. Haute, formée de deux étages, elle ménage six espaces rectangulaires dont certains paraissent dotés de panneaux transparents. Deux des fenêtres du bas sont éclairées à contre-jour et laissent apercevoir une pièce dont la fonction n’est pas encore définissable. C’est dans cette ambiance picturale, qui rappelle les tableaux monochromes d’Yves Klein, que s’affiche l‘Avant-Propos inaugural. « Les événements fictifs seront restitués dans le réel et les acteurs réels seront les médiateurs de vérités absolument fictives » . Ce préambule inscrit clairement la représentation dans un jeu de miroirs tendus au spectateur. Pour Baptiste Amann, c’est « la fiction qui permet de penser le réel. En convoquant des personnages fictionnels, il est important de ne pas les juger et de confronter leurs perspectives. »
Un fait divers inventé est au cœur de Lieux Communs, comme les répercussions artistiques, politiques et personnelles qui lui sont liées. Une femme est morte, défenestrée. Cette nuit-là, Martine Russolier avait fait entrer chez elle Issé Comparé à la suite d’un échange sur un site de rencontres. Elle était la fille d’un dirigeant d’un parti d’extrême droite. Lui, porte un nom et une couleur qui stigmatisent. L’enquête judiciaire se déploie alors, imprégnée de préjugés raciaux et de pressions politiques, mettant en lumière une société polarisée où les rôles de bourreau et de victime sont inextricablement liés et assignés par des a priori. Baptiste Amann propose une mise à nu des stéréotypes et laisse le spectateur libre de poser le regard qu’il souhaite sur la représentation offerte. Peut-être dans l’espoir de dépasser les clivages et de parvenir à faire communauté.
Des bribes de vérité
Le fil se tire dès l’entrée en scène. Des acteurs en costumes attendent. Des régisseurs guettent un top départ. Quinze ans se sont écoulés. Un spectacle doit avoir lieu autour des poèmes que Issé Comparé a écrits en prison. Une manifestation de jeunes activistes féministes en interdit la représentation. Comment oser mettre en lumière les écrits d’un assassin et qu’il soit applaudi ? Le sujet brûlant d’actualité ne peut qu’interpeler. Le souvenir de Bernard Cantat, meurtrier de Marie Trintignant revient en mémoire. Réactivé récemment par la décision de Wajdi Mouawad, metteur en scène et directeur de La Colline, un théâtre public, de confier à l’ancien chanteur de Noir Désir la création musicale de son spectacle Mère. « Dissocier l’œuvre de l’homme » est souvent la réponse apportée par ceux que ça arrange et qui fait largement débat.
Pourtant, assis face au plateau, nous ne voyons que l’envers du décor, qu’une représentation parcellaire de ce qui se joue. Dès lors, par analepses, Lieux communs va réactiver des bribes de passé, revenant sur les événements qui ont suivi lé décès de Martine Russolier et leurs répercussions. Cependant, aucune vérité ne ressort des récits entrecroisés qu’on nous donne à voir. Fenêtre ouverte sur des morceaux de vérité, le décor devient la loge d’une émission de télévision, la salle d’interrogatoire d’un commissariat, les coulisses d’un théâtre, l’appartement d’un ou plusieurs personnages, et un atelier de restauration de tableaux anciens.
Hautement symbolique, c’est dans ce denier lieu que se rencontrent un homme et une femme, proches de la victime et du coupable reconnu comme tel. Le sentiment amoureux naissant ne résiste pas au poids haineux du passé. La réparation après un drame est parfois impossible. Le tableau d’Ilya Répine qu’ils restauraient, Ivan Le terrible tue son fils, en est la preuve concrète. Les dommages causés par la violence et l’aveuglement de la colère, ne s’effacent pas.
La représentation se finit sur une belle image, celle d’hommes et de femmes qui dansent avec douceur ensemble dans une lueur orangée. Une façon ainsi que l’énonce Baptiste Amann que le théâtre peut « non pas changer le monde mais au moins transmettre l’idée qu’il aurait pu en être autrement. »
Lieux communs de Baptiste Amann convainc totalement et laisse le spectateur libre d’affronter ses idées reçues et de les dépasser s’il le souhaite.
Les LM de M La Scène : LMMMMM
Lieux communs
24.09.2024 > 10.10.2024
Interprètes Océane Caïraty, Alexandra Castellon, Charlotte Issaly, Sidney Ali Mehelleb, Caroline Menon-Bertheux, Yohann Pisiou, Samuel Réhault, Pascal Sangla
Texte et mise en scène Baptiste Amann, parution aux éditions Actes Sud-Papiers
Collaboration artistique Amélie Enon
Assistanat à la mise en scène Max Unbekandt, Balthazar Monge
Scénographie et création lumières Florent Jacob
Création son Léon Blomme
Création des costumes Marine Peyraud, Estelle Couturier-Chatellain
Spectacle Vu au Festival d’Avignon
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