Critique Kingdom

mise en scène Anne-Cécile Vandalem

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Librement inspiré du film documentaire, Braguino ou la Communauté Impossible de Clément Cogitore, Kingdom d’Anne-Cécile Vandalem saisit par sa puissance hypnotique.

Et Caïn répondit : « Je vois cet oeil encore ! »

Ce « kingdom » a une histoire. Comme tous les royaumes. Au fond de la Sibérie Orientale, vit une famille qui a fuit la ville. Au coeur de la Taïga, cette communauté en totale autarcie, loin de tout, a trouvé dans la nature environnante tout ce qui est nécessaire à sa survie. Bois, plantes, animaux ne sont utilisés qu’en fonction des besoins. L’apprentissage de la nature a été long. Ces nouveaux habitants ont dû composer avec elle pour bâtir leur nouveau royaume. 

Mais cette utopie première a oublié un élément, l’autre. Une deuxième famille s’est installée. Des cousins. Comment dès lors partager ce royaume et accepter surtout une autre façon de vivre ? Pour ces nouveaux habitants tout est à vendre, tout est à tuer. Les membres de la première cellule familiale hérissent une barrière. L’utopie devient une prison. Menée par la folie d’un patriarche, la famille se replie sur sa peur. Aux enfants, on raconte chaque soir, le commencement de la haine. Dans ce conte sinistre, un oeil arraché, jeté dans la rivière, exige, dorénavant, à chaque conflit avec l’autre, une réparation brutale. Entre Abel et Caïn, la fin ne peut être que funeste. La tragédie est lancée. Filmée en direct par l’oeil d’une caméra.

Une très belle scénographie

Sur le plateau, la nature est omniprésente. Une forêt primaire, d’arbres hauts aux teintes sombres, entoure la cabane en bois où vit la famille. Les personnages parfois paraissent se perdre et disparaissent à la vue des spectateurs. Devant coule une rivière. Les enfants, mis à la hâte, sur une barque, y seront poussés pour échapper à la violence des « autres » . Cette belle scénographie (Ruimtevaarders), évocatrice d’un royaume perdu et circonscrit, n’est pas sans rappeler celle de Mathieu Lorry-Dupuy  pour Cataract Valley, mise en scène par Marie Rémond et Thomas Quillardet, qu’on avait pu voir à Berthier, en 2020. A l’extrémité de la scène, à cour, une barrière en bois se dresse. Certains la franchiront mais rien ne sera donné à voir du royaume ennemi, laissant le spectateur imaginer ce qu’il veut.

Anne-Cécile Vandalem utilise « toutes les modalités possibles du dispositif scénique pour restituer la beauté trouble de la communauté impossible et l’ambiance de la Taïga » . La caméra filme au plus près l’intimité de la cellule familiale. Elle capte les peurs, les non-dits, la folie des croyances que l’on prend pour réelles. A ces scènes d’intérieurs filmées à hauteur d’enfants s’ajoutent ou s’opposent des scènes d’extérieurs oniriques ou violentes. La musique composée par Vincent Cahay et Pierre Kissling nourrit la scénographie d’éléments sonores en écho. Bruissements dans les branches, craquements de végétaux, claquement de volets, épaississent la matière de ce qui est montré. Le jeu des comédiens, tous excellents, font vivre les mécanismes terribles qui concourent au désastre.

Kingdom d’Anne-Cécile Vandalem embarque le spectateur dans un royaume envoûtant peuplé de peurs et de menaces.

Les LM de M La Scène : LMMMMM


Kingdom

Berthier 17e 31 janvier – 19 février

 

avec Arnaud Botman, Laurent Caron, Philippe Grand’Henry, Épona Guillaume, Zoé Kovacs
et à la caméra Federico D’Ambrosio, Leonor Malamatenios
et les enfants Léonie Chaidron, Juliette Goossens, Isaac Mathot, Daryna Melnyk, Ida Mühleck, Eulalie Poucet, Noa Staes, Léa Swaeles

et les musiciens Vincent Cahay, Pierre Kissling

Texte et mise en scène Anne-Cécile Vandalem librement inspiré de Braguino de Clément Cogitore
Dramaturgie Sarah Seignobosc
Musique Vincent CahayPierre Kissling
Scénographie Ruimtevaarders
Lumière Amélie Géhin
Vidéo Frédéric Nicaise
Son Antoine Bourgain
Costumes Laurence Hermant
Maquillage Sophie Carlier
Assistanat à la mise en scène Pauline Ringeade

Spectacle vu lors de la 75e édition du Festival d’Avignon


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affiche Kingdom Vandalem
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