Othello mise en scène Arnaud Churin
Critique M La Scène : ♥♥♥♡♡
Au Théâtre des Abbesses, Arnaud Churin revisite Othello de Shakespeare et questionne l’altérité. Altérité d’un « caucasien » blanc dans une Venise « noire ». Altérité d’un homme devenu étranger à lui-même. Altérité d’une femme perçue comme différente et châtiée. Altérité d’une représentation où la couleur de peau ne doit plus définir un personnage.
Othello ou le féminicide
Tragédie shakespearienne du début du XVIe siècle, Othello, met en scène un esclave, un Maure, devenu général au service de la République de Venise. Ce, désormais, citoyen de la prestigieuse cité des Doges vient d’épouser Desdémone, la fille d’un notable. Pressé de partir combattre les Turcs qui menacent Chypre de leur flotte, Othello part défendre les intérêts vénitiens. Sur cette terre étrangère, victime des manœuvres perfides de Iago, un officier animé par la jalousie et la haine, Othello cède à l’aveuglement le plus fatal et tue la femme qu’il aimait.
Pour Arnaud Churin, qui met en scène Othello au Théâtre des Abbesses, le véritable sujet de la pièce, n’est pas la jalousie, c’est le féminicide. Par la force d’un discours malfaisant et patriarcal, la femme aimée devient autre. Détestée, rejetée, rabaissée, Desdémone se doit de mourir. Les mots que Iago prononce, et qu’Othello écoute, tissent la tragédie. Iago est un personnage transparent. Il détaille face public ses fourbes machinations. « Metteur en scène », « dramaturge », des événements qui s’écrivent selon sa volonté, son talent oratoire conduit Othello, qui le tient pour honnête, à devenir étranger à lui-même. La parole accusatrice masculine annihile la vérité. Mais, celle-ci se repaît si aisément d’un terreau haineux et sanglant, qu’elle en devient suspecte.
Une scénographie au plus juste
Arnaud Churin et sa scénographe Virginie Mira ont choisi de ne rien faire « peser sur le texte. » Dans un cadre noir, sans aucun accessoire, trois grands panneaux de tulle mouvants distribuent l’espace. Métaphore d’un destin qui tournoie et « vient écraser les êtres », les pans transparents se plient, s’abaissent, se hissent et séparent. Voiles dans la tempête, légèreté d’une intimité dévoilée, les panneaux translucides sont aussi les masques trompeurs que les personnages tiennent pour réalité. Ce qui dévoile, abuse.
Semblables aux shōji japonais, les panneaux translucides entrent également en résonance avec la gestuelle guerrière des acteurs. Dans cette République de Venise, hommes et femmes, en effet, pratiquent les arts martiaux. C’est auprès de Laurence Fisher, la triple championne du monde de karaté, fondatrice de FightFor Dignity, que les comédiens se sont entraînés. Les costumes, aux teintes sombres et bleutées, inspirés du kendo, prolongent l’idée d’un code d’honneur que seule la mort pourra laver.
Othello mis en scène par Arnaud Churin bouscule les conventions. Sa troupe de comédiens issue du monde entier soutient avec force le texte de Shakespeare et prouve que la couleur de peau n’est pas « dramaturgiquement signifiante », contrairement à ce que nombre de metteurs en scène ou réalisateurs pensent. ♥♥♥♡♡
Othello Théâtre de la Ville
MISE EN SCÈNE Arnaud Churin
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