Dans le cadre du Festival Avis de Turbulences #14 à L’Etoile du nord, Sylvère Lamotte et la Cie Lamento, présente Les Sauvages, une chorégraphie pour cinq danseurs qui interroge les liens primaires qui peuvent unir un groupe d’hommes.
Les Sauvages : l’âge de glaise
De corps, il est question. Sur le plateau, quand le spectacle débute, une rampe de cinq néons se hisse et s’allume. Aveuglante, elle dresse une nette séparation entre la pénombre et le couloir en avant-scène violemment éclairé. Il faut tout de suite dire que ce travail sur la lumière ( Arnaud Cabias) est remarquable. De l’épaisseur noire vont surgir des corps, lentement, comme s’ils extrayaient d’une gangue glaiseuse. Les corps ont la blancheur du marbre. Celle du Christ mort de Philippe de Champaigne. La lueur blafarde dessine les nœuds des muscles. Elle irradie les chairs d’une tension mortuaire.
Les corps s’avancent pour être happés à nouveau par l’obscurité. Comme si s’affranchir de cette ère primitive était difficile. Comme si cet âge premier, où l’homme n’était qu’argile, que puissance en devenir, avait l’attraction d’un cocon protecteur. Les gestes sont doux. Les portés alentis. Quand les premiers accents travaillent les corps et la dualité, la rampe de lumière monte aux cintres et s’éteint. L’espace s’ouvre alors sur une aire où la sauvagerie trouve son développement.
Les sauvages : L’âge des bâtisseurs
Dans le clair-obscur de ce qui aurait pu être l’aurore des hommes, les cinq danseurs vont expérimenter la violence d’être au groupe ou celle d’en être exclu. Sur scène, de lourdes planches s’élèvent ou sont couchées en attente d’être maniées. Elles deviennent alors, pilori pour les corps suppliciés, rempart pour les corps ennemis, catafalque de bois et cercueil pour un corps sans vie.
La danse est âpre. L’impulsion qui initie le mouvement sur soi ou vers l’autre traduit la sauvagerie des instincts premiers et leurs ravages. Le groupe initie la dévoration et la revendique. Les cinq danseurs ( Youness Aboulakoul, Jean-Charles Jousni Alexandre Bachelard, Gaétan Jamard, Jérémy Kouyoumdjian ) jettent leur talent et leur énergie dans ce tableau redoutable d’une violence qui ne construit rien.
Les Sauvages : L’âge des conflits
Le troisième temps s’attache à évoquer une fraternité masculine. A jardin, en avant-scène, le groupe, assis sur le tas de planches, paisible, commence à élaborer une harmonie rythmique. Chacun des interprètes tape, frappe en cadence et participe à cet élan joyeux de partage. Moment de joie simple où la danse s’invite comme un prolongement naturel à cet instant festif.
Mais, là encore le groupe ne peut maintenir la cohésion. Au son des cris de supporters de football braillant dans les stades, au son des clameurs lors de révolutions des printemps arabes, la violence renaît et les corps se jettent dans l’air saturé de désespoir pour finir dans un charnier à ciel ouvert. La dernière image est celle d’un radeau au lointain, rappel assumé à celui de Géricault. Peinture tragique d’une dévoration annoncée.
Sylvère Lamotte, dans Les Sauvages, livre une chorégraphie puissante, riche et stimulante. Les cinq danseurs de la Cie Lamento soutiennent la pièce de leur présence intense et de leur énergie à vif. La chair du spectacle et des corps est magnifiée par une esthétique volontairement picturale. Le travail de ce jeune chorégraphe est à découvrir et à suivre.
Les Sauvages Jusqu’au 27 octobre 20h30
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