Les Chaises mise en scène Bernard Levy

Critique M La Scène : ♥♥♥♥♥

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 Au Théâtre de l’Aquarium, La Cartoucherie, Bernard Levy offre une relecture bouleversante et salutaire d’une des pièces majeures d’Eugène Ionesco : Les Chaises. Un moment de grâce soutenu par un couple d’acteurs exceptionnels.

La poésie d’une fin de vie

Les Chaises met en scène un vieux et une vieille, tous deux ayant passé les quatre-vingt dix ans. Ionesco recommandait cependant que ces personnages soient interprétés par de jeunes acteurs. Le jeu devait primer sur le réel. Ce décalage devait nourrir la dérision. 

Bernard Levy opte pour une approche sensible, au plus près de la réalité des personnages. Il confie à Thierry Bosc et Emmanuelle Grangé, qui forment eux-mêmes un couple dans la vie, l’interprétation vibrante de ces êtres en bout de vie. Pour Ionesco « Il n’y a en ce monde que deux essentialités : l’amour et la mort. C’est-à-dire que l’amour peut tuer la mort. » C’est donc, ensemble, dans un dernier baiser, que les personnages vont mettre en scène leur fin de vie. 

Avec poésie, délicatesse, effort, le couple mobilise les parcelles de leur mémoire, les fragments de leur histoire, pour ressasser ce qui a été et qui ne sera plus. Metteurs en scène de leur derniers instants, l’homme et la femme remplissent le vide angoissant de leur intimité par des présences imaginaires. Les Chaises, qu’ils apportent en nombre dans leur salon, sont comme les représentations tangibles de ceux qu’ils ont connus et qu’ils convoquent pour les rendre témoins de cet amour qui meurt avec eux.

Les Chaises
Thierry Bosc et Emmanuelle Grangé (c) Régis Durand de Girard

Une scénographie au plus juste.

La scénographie imaginée par Alain Lagarde nous rend aussi témoins de cette mort qui n’est plus tout à fait solitaire. Les personnages se meuvent dans une boite dont les parois vitrées réfléchissent leurs images, mais aussi, parfois la nôtre. La transparence et le reflet multiplient les présences floues qui hantent leur passé. Comme elles concrétisent celles des invités qui sont censés venir pour entendre le message final livré au monde. Réalité et projection imaginaire se confondent.

Le décor minimaliste ( un lampadaire, un tapis usagé, un vieux radiateur, une commode, des piles de journaux et deux chaises au centre) renvoie l’image d’un univers suranné, poussiéreux, figé dans le temps. Mais la douceur des éclairages nimbe l’ensemble d’une lumière caressante. Tandis que sur un vieux transistor, des chansons populaires se font entendre, comme Love me please de Michel Polnareff, qui soulignent la dimension nostalgique de ces vies qui s’effacent.

Les Chaises d’Eugène Ionesco avec Bernard Levy s’offrent une deuxième jeunesse. L’ironie, le déconstruction, la mécanique de l’absurde ont été abandonnées au profit d’une lecture bien plus profonde. L’humanité vibre dans les corps vieillissants des magnifiques acteurs et l’amour triomphe de la mort. 

Théâtre de l’Aquarium ( Cartoucherie) jusqu’au 14 avril 2019
texte Eugène Ionesco 

mise en scène Bernard Levy collaboration artistique Jean-Luc Vincent, scénographie Alain Lagarde, lumière Christian Pinaud, création son Xavier Jacquot, costumes Claudia Jenatsch, maquillage/coiffure Agnès Gourin Fayn

avec Thierry Bosc, Emmanuelle Grangé, Michel Fouquet

 

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