Critique Le Songe d’une nuit d’été Shakespeare

mise en scène Emmanuel Demarcy-Mota

2 216
Le songe d'une nuit d'été
(C) Nadège Le Lezec

Le Songe d’une nuit d’été de Shakespeare monté au Théâtre de la Ville par Emmanuel Demarcy-Mota est une pure réussite. Le merveilleux s’y déploie avec une si évidente facilité que le spectateur ne peut que tomber sous le charme (regarder l’interview vidéo d’Emmanuel Demarcy-Mota accordée à M La Scène sur le plateau du Théâtre de la Ville).

Le songe d’une nuit d’été : la puissance du merveilleux

Le Songe d’une nuit d’été (A Midsummer Night’s Dream) est une comédie-féérie dans laquelle Shakespeare se plaît à perdre le spectateur. Tout commence dans le palais de Thésée ( ici joué par Marie-France Alvarez, hiératique), à Athènes, mais se poursuit au coeur d’une forêt enchantée. Au sein de ces bois, trois groupes de personnages vont se croiser. Des êtres de contes de fées, des artisans apprentis comédiens et un quatuor de jeunes athéniens mus par l’amour.

Hermia ( Sabrina Ouazani) aime Lyssandre (Jackee Toto), mais son père, Égée, la destine à Démétrius ( Jauris Casanova) , dont, par ailleurs, Hélèna ( Élodie Bouchez) est éprise. Le refus d’Hermia d’obtempérer aux exigences paternelles la place sous le coup de la loi, celle des pères tyranniques. Si elle n’obéît pas, elle devra, soit rentrer dans un couvent, soit mourir. Pour échapper à ce sort tragique Hermia et Lyssandre s’enfuient dans la forêt, bientôt suivis par les deux autres jeunes gens, Démétrius et Héléna. La magie va, alors, rebattre les cartes du coeur et semer la confusion. Au terme de cette nuit d’été, éclairée par les rayons de la lune, chacun aura l’illusion d’avoir vécu un songe. Et le public peut-être aussi.

Emmanuel Demarcy-Mota monte Le Songe d’une nuit d’été dans une nouvelle traduction de François Regnault et redonne à la comédie de Shakespeare toute sa puissance féérique. Le texte, porté par la troupe du Théâtre de la Ville et soutenu par l’ensemble du travail visuel et sonore, étonne encore par son insolent pouvoir de séduction.

Le visible et l’invisible

Tout aurait pu être tragique. La scénographie de Natacha le Guen de Kerneizon et Emmanuel Demarcy-Mota le rappelle dès le début. Entouré d’un noir profond, un grand carré blanc et froid délimite, au sol, le Palais de Thésée. A peine quelques chaises sont-elles disposées sur les bords du périmètre. La rigueur règne. Les pères imposent leur loi inique. L’espace contraint la fougue de la jeunesse et les élans amoureux.

A cet espace très formel s’oppose celui de la forêt magique où les quatre jeunes gens vont faire l’expérience de tous les possibles. Celle de l’émancipation, du trouble, du désir, des métamorphoses, de la perte des repères, du sommeil et du songe. Cette forêt est mouvante, bruissante, vibrante. Les arbres, qui structurent l’espace, sont si grands, que seuls leurs troncs sont visibles. Leurs cimes échappent au regard. Mus, comme par une vie souterraine et autonome, ils se déplacent pour perdre les personnages et brouiller les pistes. Ainsi que le précise Emmanuel Demarcy-Mota : « La forêt, notamment en Afrique centrale, est l’endroit où l’on initie les êtres à d’autres pratiques. Où le mystère du monde invisible par les racines des arbres, la vibration des feuilles, y compris leur communication entre eux, indépendamment de nous, espèce humaine, a, depuis la nuit des temps, une grande importance. Que peut-on, en effet, retrouver de pire et de meilleur au fin fond de la forêt de soi-même ? »

Les ténèbres entourent la forêt enchantée mais, parfois, un autre monde apparaît au lointain en transparence. Un lieu diffus peuplé seulement de silhouettes et auquel on ne semble pas avoir accès. La forêt première paraît se dédoubler, offrant les contours flous d’un monde second. Comme la projection d’une forêt plus intime, celle de l’inconscient où les rêves et désirs s’entrecroisent tout au long de ce songe d’une nuit d’été.

Un monde étrange et inquiétant

Les magnifiques lumières de Christophe Lemaire contribuent à construire un univers à la fois onirique et inquiétant. Jouant de la pénombre et de la clarté, l’éclairage privilégie souvent des teintes irréalistes. Un bleu puissant, mâtiné parfois de brun, habille le monde de la forêt. Il s’oppose au camaïeu de vert qui définit au lointain l’espace mental des personnages. Le travail sur l’image, par les vidéos (Renaud Rubiano), prend appui sur une partition sonore (Flavien Gaudon) particulièrement évocatrice.

Ainsi que le souhaitait Emmanuel Demarcy- Mota, il s’agissait de « faire apparaître concrètement les personnages non pas des coulisses, mais du fond. » Les personnages paraissent alors surgir magiquement sur scène. Semblablement à des apparitions, ils jaillissent ou émergent de la pénombre pour arriver dans la lumière, sans que le spectateur sache d’où ils viennent. Pour le metteur en scène : « ils naissent à la scène » . A chaque fois, un son inquiétant double cette apparition visuelle étonnante et renforce le mystère attaché à ce lieu.

La forêt étrange de ce songe d’une nuit d’été est peuplée de créatures fantastiques. Titania (Valérie Dashwood, majestueuse) et son cortège de fées apparaissent des tréfonds d’un monde souterrain par des trappes, dotées parfois de miroirs. Retenue par deux filins, la reine s’envole et vole parmi les troncs des arbres centenaires. Puck, qui sert le roi des elfes, Obéron (Philippe Demarle), se démultiplie. Trois jeunes acteurs virevoltants l’interprètent (Edouard Eftimakis, Ilona Astoul, Mélissa Polonie). Tandis que Bottom (Gérald Maillet), affublé d’une tête d’âne, se métamorphose en un être hybride, claudiquant et cauchemardesque.

Dans sa mise en scène du Songe d’une nuit d’été de Shakespeare, Emmanuel Demarcy-Mota redonne toute la puissance à la force invisible de la pièce. Le charme opère pour notre plus grand plaisir.

Les LM (elle aime) de M La Scène : LMMMMM

APRÈS LE SPECTACLE, LES ENTRETIENS DE M LA SCÈNE : EMMANUEL DEMARCY-MOTA

Le Songe d’une nuit d’été

Théâtre de la ville

16 JANV.10 FÉVR. 2024

Texte William Shakespeare
Nouvelle traduction François Regnault
Version scénique et mise en scène Emmanuel Demarcy-Mota

Avec la Troupe du Théâtre de la Ville

Élodie Bouchez, Sabrina Ouazani, Jauris Casanova, Jackee Toto, Valérie Dashwood, Philippe Demarle, Edouard Eftimakis, Ilona Astoul, Mélissa Polonie, Gérald Maillet, Sandra Faure, Gaëlle Guillou, Ludovic Parfait Goma, Stéphane Krähenbühl, Marie-France Alvarez

Assistante à la mise en scène Julie Peigne, en  collaboration avec Judith Gottesman Collaborations artistiques Christophe LemaireFrançois Regnault Scénographie Natacha le Guen de Kerneizon, Emmanuel Demarcy-Mota Lumières Christophe Lemaire, assisté de Thomas Falinower Costumes Fanny Brouste, assistée de Véra Boussicot Musique Arman Méliès Vidéo Renaud Rubiano, assisté de Romain Tanguy Son Flavien Gaudon Maquillage et coiffures Catherine Nicolas, assistée de Elisa Provins Accessoiristes Erik Jourdil Coiffes et couronnes Laetitia Mirault Habilleuse Séverine Gohier Training acteurs Jean-Pierre Garnier Training physique Claire Richard, Ludovic Petey Training chant Vincent Leterme, Maryse Martines Réalisation costumes Lucile Charvet, Mélisa Léoni, Peggy Sturm Stagiaire costumes Apolline Coulon Construction décor  Espace & Compagnie Construction accessoires Marie Grenier, Grégory Guilbert, Robert Ortiz Fabrication masques Atelier Cinébébé, Bruno Jouvet

 


Vous souhaitez lire une autre critique théâtre de M La Scène ? Celle-ci pourrait vous intéresser : Critique La réponse des hommes mise en scène Tiphaine Raffier
laissez un commentaire

Nous utilisons des cookies pour vous garantir la meilleure expérience sur notre site. Si vous continuez à utiliser ce dernier, nous considérerons que vous acceptez l'utilisation des cookies. Accepter En savoir plus