Inspirée de trois tragédies élisabéthaines et d’une tragi-comédie du Siècle d’or espagnol, La Trilogie de la vengeance de Simon Stone, s’appuie sur une scénographie très audacieuse. Celle-ci propulse le spectateur dans une dynamique réflexive sur le violence faite aux femmes.
RECONSTITUER le puzzle tragique
Après Médée et Les Trois sœurs, Simon Stone interroge la destinée féminine. Dommage qu’elle soit une putain, de John Ford ( 1636), The Changelling, de Thomas Middleton et William Rowley (1622), Titus Andronicus, de Shakespeare, et Fuente Ovejuna de Lope de Vega fournissent la matière tragique à la réécriture proposée par le metteur en scène australien.
L’inceste, le viol, la violence, traversent les modèles cités. Simon Stone s’empare de cet héritage culturel pour en souligner les traces qui perdurent dans notre société. Mais, il ne livre pas seulement un texte (traduit par Robin Osmond). Il imagine un dispositif scénique qui invite le spectateur à reconstituer le puzzle tragique.
La Trilogie de la violence se décline dans trois espaces ( le bureau, le restaurant, l’hôtel). Trois espaces où simultanément des éléments de l’histoire à reconstruire sont livrés. Les spectateurs répartis en trois groupes (A, B et C) appréhendent les morceaux du puzzle dans une logique qui ne tient qu’à la lettre qu’ils possèdent. A chacun d’eux de rétablir les actes de la tragédie. A chacun d’en assurer le montage final en s’inscrivant dans une dynamique aléatoire mais forcément réflexive et active.
Une performance pour les acteurs
De vengeance, il est donc question. Une vengeance de femmes face à la violence qui leur a été faite et dont elles portent encore les stigmates après des décennies. Pour porter cette vengeance, la distribution est essentiellement féminine (Valeria Bruni Tedeschi, Servane Ducorps, Adèle Exarchopoulos, Eye Haïdara, Pauline Lorillard, Nathalie Richard, Alison Valence). Face à elles, Éric Caravaca et Benjamin Zeitoun (qui en assure la « doublure ») incarnent les figures masculines de la violence et de la perversion.
Les femmes dominent en nombre les trois plateaux. Le rapport de force est volontairement inversé. Simon Stone s’affranchit de la tragédie élisabéthaine. Quand la femme n’était qu’un corps outragé et mutilé, il exhibe, lui, dans les trois espaces, des corps en mouvement, des corps en révolte et des corps vengeurs. Toutes les actrices relèvent le défi de soutenir la tension dans le dispositif morcelé. Incarnant les personnages féminins à tour de rôle, les comédiennes dès qu’elles entrent, donnent à voir qui elles sont. Performance, au timing si exigeant, qu’Eye Haïdara s’y est blessée, jouant sa difficile partition avec un plâtre et des béquilles.
La scénographie ( Alice Babidge, Raph Myers) et le remarquable travail sur les décors et les accessoires ( Atelier de construction de l’Odéon-Théâtre de l’Europe) projettent la tragédie dans le réel. Mais, selon les espaces, les parois vitrées et le dispositif bi-frontal maintiennent les spectateurs à la juste distance de la violence, entre voyeurisme et dégoût. Audacieuse, exigeante, la dernière création de Simon Stone étonne et séduit.
La Trilogie de la vengeance
texte et mise en scène Simon Stone
artiste associé
d’après John Ford, Thomas Middleton, William Shakespeare, Lope de Vega
Pour lire la critique sur Le Pays lointain à L’Odéon