Critique Immaqaa, ici peut-être
Mise en scène Mathurin Bolze
Dans Immaqaa, ici peut-être, l’artiste circassien Mathurin Bolze explore les terres du Grand Nord, puisant son inspiration dans la splendeur et la rigueur des paysages arctiques. La virtuosité aérienne s’allie à des tableaux que la lumière embellit.
Danser sur la banquise du possible
Depuis plus de vingt ans, Mathurin Bolze façonne un cirque contemporain singulier, où la virtuosité technique rencontre la littérature et la pensée. Formé au trampoline, il insuffle à ses spectacles une poésie du mouvement, où le corps en suspension interroge l’espace et défie la gravité. Ses créations, entre imaginaire et réflexion philosophique, esquissent des territoires mouvants où l’apesanteur devient langage.
Avec Les Hauts Plateaux, l’artiste circassien avait déjà frappé les esprits en mettant en scène un monde en perpétuel déséquilibre. Son nouveau projet, Immaqaa, ici peut-être, naît de la rencontre du compositeur Philippe Le Goffl, grand connaisseur de la culture inuit. Celui-ci l’emmène aux confins de l’Arctique, où la glace, la lumière et la brume dessinent des paysages en perpétuelle mutation. Ces immensités silencieuses, premières victimes du dérèglement climatique, deviennent le décor d’un voyage sensoriel et métaphorique.
En inuit, Immaqaa signifie « peut-être » . Le mot, suspendu entre certitude et doute, résonne comme une interrogation sur notre avenir et notre rapport au monde. « Ici », que fait-on de ce possible effondrement de la banquise et de son écho tragique sur nos côtes ? À travers ce spectacle, Mathurin Bolze poursuit son exploration d’un cirque où l’apesanteur et la pensée ne font qu’un.
Entre glace et lumière
Dès les premières minutes d’ Immaqaa, ici peut-être, Mathurin Bolze brouille les repères. Une imposante structure d’échafaudage occupe l’avant-scène, obstruant l’espace. Sa partie basse, simple vestiaire, semble n’avoir qu’une fonction utilitaire : les artistes y attrapent bonnets et manteaux, tandis que le public s’installe. Mais bientôt, la mécanique du spectacle se met en marche.
L’échafaudage pivote, et derrière lui surgit un bloc de glace monumental. C’est le point de bascule. L’espace se transforme sous les yeux des spectateurs, révélant un terrain d’exploration mouvant, où la troupe brillante d’acrobates se lance à l’assaut de cette banquise éphémère. Courses effrénées, sauts audacieux, chutes vertigineuses : le corps devient un langage qui sculpte l’air et la glace. Dans cet univers en perpétuelle recomposition, la danse des artistes épouse celle de la matière, faisant émerger une magie fragile et éblouissante.
Les corps arpentent les crêtes et effleurent chaque aspérité, flirtant avec l’équilibre avant de se lancer dans le vide. Dans leur chute, ils rebondissent et dessinent de fugaces arabesques. Deux jeunes femmes, lovées sur un tube lumineux évoquant l’alphabet inuktitut, défient l’attraction avec grâce. Leurs mouvements synchronisés, gémellaires, donnent à la prouesse technique une apparente facilité. Tout au long du spectacle, la virtuosité aérienne ne cesse de s’allier à des tableaux que les lumières, crées par Victor Egéa, embellissent.
La scénographie imaginée par Gala Ognibene ménage des surprises. Magnifiques moments lorsque la banquise se fissure, craquelle, se meut et se redéploie dans un autre espace. Un univers sonore riche (Jérôme Fèvre) accompagne ces diverses mutations, comme les projections vidéo (Orin Camus). Les images du Grand Nord, balayé par le vent et la neige, font exister un ailleurs prégnant et poétique.
Immaqaa, ici peut-être, la dernière création de Mathurin Bolze, entrelace le mouvement, l’espace, la lumière pour créer un univers en perpétuelle métamorphose. Entre prouesses acrobatiques et poésie visuelle, Mathurin Bolze et la Cie MPTA, nous transportent sur une banquise puissante et fragile, où chaque instant semble suspendu entre équilibre, vertige et chute. Un spectacle circassien qui, avec justesse et sensibilité, fait écho menaces qui frappent le Grand Nord.
Les LM de M La Scène : LMMMMM
Immaqaa, ici peut-être
Conception, mise en scène
Avec Mathurin Bolze, Corentin Diana, Helena Humm, Anahi De las Cuevas, Tamila De Naeyer, Maxime Seghers, Léon Volet.
>Composition musicale Philippe Le Goff.
>Conception sonore Jérôme Fèvre
Dramaturgie Samuel Vittoz
Scénographie Gala Ognibene
Machinerie scénique Nicolas Julliand
Costumes Clara Ognibene
Lumière Victor Egéa
Vidéo Orin Camus
Construction Ateliers décor de la MC93 Bobigny.
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