Critique L’Esthétique de la résistance

Adaptation et mise en scène Sylvain Creuzevault

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Critique l'esthétique de la résistance

Sylvain Creuzevault s’attaque au roman-somme L’Esthétique de la Résistance de l’écrivain Peter Weiss et livre une fresque audacieuse, maîtrisée et intense. Les dix-sept acteurs s’emparent avec force de l’histoire collective du mouvement allemand anti-fasciste de la première partie du XXème siècle. Un éclairage in vivo sur les liens profonds qui unissent l’acte artistique et l’acte résistant. 

Des hommes et des oeuvres

Écrit entre 1975 et 1981, L’Esthétique de la Résistance de l’écrivain allemand, Peter Weiss est un livre-somme. Adoptant, la forme d’une trilogie, le roman éclaire le parcours de personnages, résistants communistes, issus majoritairement du monde ouvrier. De la République de Weimar à 1945, ces femmes et ces hommes, engagés contre le fascisme, n’en sont pas moins confrontés aux dictats et aux purges du Parti, comme aux aléas de l’internationalisme socialiste.

Le narrateur n’a pas de véritable identité. Si ce n’est celle d’être allemand, ouvrier et communiste. Il traverse l’Europe en guerre et témoigne ainsi de l’Histoire en marche. Son parcours engagé, aux côtés de personnages historiques ayant vraiment existé, le mène d’Allemagne à l’Espagne, aux côtés des brigades internationales. Puis, après un séjour en France dans les années 1938, date des accords de Munich, qui sacrifient la Tchécoslovaquie, il partage le sort des exilés allemands en Suède. Enfin, à Berlin, en 1942, la section de résistants, à laquelle il appartient est démasquée et anéantie par la Gestapo.

Le roman ne raconte pas seulement l’échec du mouvement ouvrier européen pris dans la tourmente du nazisme, du franquisme ou du stalinisme, il évoque également, les aspirations réelles de femmes et d’hommes, qui cherchent dans l’Art des réponses à leur quête d’idéal et de révolution. Face aux œuvres qu’ils regardent et décryptent par eux-mêmes, ces ouvriers, que l’on tient hors de la culture, se saisissent de leurs outils pour en proposer une lecture qu’ils souhaitent éclairée. Comprendre, parvenir à  lire les représentations esthétiques, c’est, pour eux, faire acte de résistance.

A la lumière des œuvres

L’Esthétique de la résistance mis en scène par Sylvain Creuzevault  adopte la même construction que celle du roman. Une partie pour chacun des volumes. En ouverture, un fin rideau transparent délimite, en s’ouvrant et en se fermant régulièrement, les étapes du récit. Les inscriptions « Livre I » , « Livre II » , « Livre III » s’affichent. Des dates, des lieux, s’y projettent également.

La première scène place, ainsi, le narrateur au cœur d’un musée, celui de Pergame à Berlin. Face à une fresque de pierre représentant la lutte des Géants contre les dieux de l’Olympe, l’ouvrier débat, avec ses amis communistes, du sens de l’œuvre. Héraclès, qui aide les Olympiens à vaincre les Géants, devient le symbole de celui qui lutte pour la cause des opprimés.

Chacun des protagonistes offre sa lecture du monument antique. Horst Heilmann et Hans Coppi, sont présents. Anti-fascistes de la première heure, ces personnages réels, membres de l’organisation résistante, « L’Orchestre rouge » , donnent chacun leur version politique de cet autel de marbre et défendent leur vision de l’art. Face à la tentation de la propagande artistique au service de l’État soviétique, il doit exister une esthétique de la résistance.

Le théâtre en acte

Sylvain Creuzevault traduit scéniquement au sein du spectacle cette recherche d’une expérience nouvelle pour adapter le propos de l’écrivain allemand. Weiss, interprété par le formidable Vladislav Galard, d’ailleurs présent sur scène. Une pancarte accrochée à son cou le désigne. Acteur « distancié » , il peut ainsi commenter les épisodes qu’il a lui-même écrits et provoquer parfois le rire.

Vidéos, musiques, chants et chorégraphies animent les cinq heures de la représentation, tout en donnant à entendre le texte original de Weiss. Que les mots soient projetés sur écran, lus en direct ou qu’ils soient dits sur scène. La mise en scène expérimente plusieurs formes pour traduire les œuvres évoquées dans le roman. L’étude de la fresque se clôt sur un rap des prolétaires, accompagné d’un beatboxer : « On a choisi l’URSS, pas le bras SS  » . Le Massacre des innocents de Bruegel est projeté sur le rideau d’avant-scène. Un zoom isole les petites scènes d’horreur disséminées dans le tableau tandis qu’une voix off en fait la description. Terrible écho aux événements tragiques du 7 octobre 2023.

En Espagne, le narrateur porte une reproduction de Guernica accrochée à son dos comme un colporteur. Après une vive discussion, l’un des comédiens, passionné, hors de lui, au plus près du public, apostrophe son metteur en scène. « Je ne suis pas d’accord avec ta mise en scène, Sylvain.  » Pour finir par l’exhortation, en tant que personnage : « Picasso. A la guillotine ! »  Brecht, exilé en Suède, monte « Mère Courage » . Nous assistons en spectateurs privilégiés, à la répétition de plusieurs scènes. Passé et présent de la représentation se télescopent.

 

Porté par l’énergie et l’engagement des quatre acteurs de la Cie «  Le Singe » et les treize jeunes actrices et acteurs issu.e.s du Groupe 47, du TNS, L’Esthétique de la résistance de Sylvain Creuzevault parvient à traduire le souffle de l’Histoire et la force des convictions qui ont animé les anti-fascistes allemands de la première heure. Au livre-somme de Peter Weiss répond un spectacle ambitieux et vibrant.

Les LM de M La Scène : LMMMMM

L’Esthétique de la résistance

MC93 

Du 9 au 12 novembre 2023

Adaptation et mise en scène Sylvain Creuzevault

D’après le roman éponyme de Peter Weiss, traduit de l’allemand par Éliane Kaufholz-Messmer publié aux Éditions Klincksieck en 2017

Avec Jonathan Bénéteau de Laprairie, Juliette Bialek, Yanis Bouferrache, Gabriel Dahmani, Valérie Dréville*, Hameza El Omari, Jade Emmanuel, Felipe Fonseca Nobre, Vladislav Galard*, Arthur Igual*, Charlotte Issaly, Frédéric Noaille*, Vincent Pacaud, Naïsha Randrianasolo, Lucie Rouxel, Thomas Stachorsky, Manon Xardel (*compagnie Le Singe)

Dramaturgie Julien Vella
Assistanat à la mise en scène Ivan Marquez
Scénographie et accessoires Loïse Beauseigneur, Valentine Lê
Costumes et perruques Jeanne Daniel Nguyen, Sarah Barzic
Maquillage et perruques Mityl Brimeur
Lumière Charlotte Moussié, en complicité avec Vyara Stefanova
Composition musicale Pierre-Yves Macé
Son Loïc Waridel
Régie plateau Léa Bonhomme
Vidéo Simon Anquetil
Régie générale Arthur Mandô
Costumes, accessoires et décor Ateliers du TNS

Le spectacle a été créé le 23 mai 2023 au Théâtre national de Strasbourg.


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