L M peu « Il Cielo non è un fondale » de Daria Deflorian et Antonio Tagliarini
le spectateur à l’extérieur
Il est des projets qui échouent à toucher. Aux Ateliers Berthiers, Daria Deflorian et Antonio Tagliarini présentent un de leurs derniers spectacles Il Cielo non è un fondale ( Le Ciel n’est pas une toile de fond ). L’argument est louable. Parler de l’humain. S’interroger sur l’autre si proche et si effrayant. Celui qui tend la main et que l’on frôle. Celle, vieillarde accroupie, qui appelle à l’aide au coin de la rue. Les questions qui le traversent sont légitimes. « Quand nous sommes à la maison, que pensons-nous de l’homme dehors sous la pluie? » Comment voir ceux qui ont tout quitté à travers « notre lorgnette de privilégiés ? » Mais, la forme choisie dessert l’ensemble. A élire le rêve comme support de théâtralité, comme viatique pour un voyage privé de ciel, tout semble vidé de sa substance.
La scénographie, volontairement austère et minimaliste, supprime les coulisses. Sur la scène, un panneau rectangulaire noir se dresse que les acteurs, vêtus de costumes gris sans âme, manipulent parfois pour modifier ou réduire l’espace. Un micro est posé et un « termosifone » ( radiateur) blanc qui se multipliera dans l’image finale. Le plateau est éclairé, voire sur-éclairé par deux rangées de projecteurs qui n’épargnent pas la salle. Il semble évident qu’à la lumière échoit la tâche de relier la scène à la salle, lien renforcé par l’adresse frontale. Ah, merci Brecht ! (voir entre autres, Bertolt Brecht, Les Chants, Die Gesänge, Henschel, Berlin, 1957). Or, c’est oublier que la dimension virtuellement politique de la « distanciation » réside notamment dans le prolongement que le spectateur peut donner à la pièce dans le domaine pratique, et c’est ici, à notre avis, que Daria Deflorian et Antonio Tagliarini échouent dans leur projet. Le spectateur reste à l’extérieur.
Le spectateur à l’intérieur
Le dispositif n’aide pas. Le plateau trop grand absorbe les acteurs. Les lents déplacements, ponctués de poses statiques, lorsque l’un des personnages parle, interdisent à tout rythme de se créer. On se plait alors à imaginer un Krystian Lupa dissimulé derrière un poteau de béton dynamisant les acteurs pour qu’ils ne sombrent pas dans le rêve qu’ils essayent, on l’a bien compris, de rendre palpable sur scène. Les récits s’étirent contaminés par une dimension qui se veut onirique mais le réel annoncé comme matériau premier de la réflexion se dissout pour devenir artifice. Noyé sous un flot de paroles qui remplissent le vide de la proposition scénique, le spectateur est contraint de se réfugier dans une intériorité protectrice.
Daria Deflorian et Antonio Tagliarini, à trois reprises, invitent les spectateurs à fermer les yeux et à les ouvrir. L’idée était belle; l’expérience déceptive. Les images que l’on découvre ne changent pas vraiment de ce qui était visible avant. La tentation est forte alors de garder les yeux fermés et de se laisser bercer par la langue qui se déploie au détriment du sens. La parole sur scène éteint l’Autre qu’elle était censée faire vivre.
Restent la jolie voix de Monica Demuru et son chant maîtrisé.
http://www.theatre-odeon.eu/fr/2016-2017/spectacles/il-cielo-non-e-un-fondale