Les Damnés mise en scène Ivo Van Hove

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L MMMM  Les Damnés mise en scène Ivo Van Hove

Le ciel est vide

Le ciel est désespérément vide. Tragique évidence que formulait Schopenhauer. Tragique blessure pour l’homme qui ne peut désormais se regarder que dans les yeux de ses semblables. A la Comédie-Française, Ivo Van Hove reprend Les Damnés, le spectacle qui avait ébranlé le Festival d’Avignon et donne à voir cet horizon fermé. Créée à partir du scénario de Luchino Visconti, Nicola Badalucco, Enrico Medioli, sans référence au film, la pièce s’attache à raconter l’histoire des Essenbeck, grands industriels de la sidérurgie, à l’heure du triomphe des nazis en Allemagne. Visconti filmait La Caduta degli dei (Le Crépuscule des dieux), la fin d’un monde où hommes et dieux allaient à la mort. Ivo van Hove montre les champs sulfureux de l’enfer que l’homme ensemence de sa folie. La spiritualité a déserté le plateau. Le dispositif scénique imaginé par Jan Versweyveld n’offre aucune échappatoire. De jardin à cour, tout est à vue, tout est écrit. A l’espace « intime », coulisses théâtralisées de la famille, (quatre tables de maquillage et trois lits à jardin) répond l’espace sacrificiel ( six cercueils à cour). Entre les deux espaces, un immense carré orange se déploie, feux des aciéries en fusion, feux de la violence et de la perversité, qui vont brûler un à un les membres de la famille Essenbeck. Filmés en continuité, dans leur intimité jusque dans leurs cercueils, les personnages ne peuvent échapper au noir destin qu’ils ont eux-mêmes forgés. Les caméras filment au plus près l’horreur en marche et, en direct, la donnent à voir au spectateur sur l’écran qui surplombe les espaces.

              Les Damnés Ivo van Hove                                             photo Jan Versweyve

LES DAMNES : Nos atrides sanglants

Lutte pour le pouvoir, trahisons, assassinats, inceste, viol, pédophilie, massacre, les Atrides maudits ont eu des fils et des filles. Leur engeance se nomme Essenbeck. Elle nait sur scène dans la brutalité, sur fond d’images du Reichstag en flammes. Nous sommes en février 1933. Le parti nazi cherche des appuis au sein des grandes familles d’industriels allemands. Les Essenbeck, pour protéger leur position et leurs intérêts financiers, commettent l’irréparable, l’assassinat du patriarche, le vieux baron Joachim (Didier Sandre), qui rechignait à s’allier au nouveau régime. Les claquements de bottes de l’extérieur résonnent désormais dans le salon. Le Mal vient d’entrer dans la maison, fauchant un à un les membres de la famille. Au terme de ce carnage, le fils dégénéré, Martin, (Christophe Montenez), incestueux et pédophile, gagne ses galons de nazillon zélé en éliminant sa mère (Elsa Lepoivre) et son amant ( Guillaume Gallienne).

Les Damnés Ivo Van Hove photo © Arnold Jerockiu

A chaque étape de la tragédie sanglante, la caméra traque les visages des comédiens mais aussi implique le spectateur. Chaque fin d’acte est ponctuée par le même rituel. Tous les personnages réinvestissent l’espace et se tiennent face public, impassibles, tandis que la caméra balaie l’assemblée théâtrale. Le spectateur peut alors se voir dans les dorures du théâtre contemplant ce qui a eu lieu. L’écran qui capture le regard, comme la position des acteurs, interpellent. Car ces damnés sont nos Atrides. Ceux de notre passé monstrueux mais aussi ceux de notre présent. Certains diront que le raccourci de Dachau au Bataclan est ignoble. C’est pourtant ce que propose l’image finale. Martin (Christophe Montenez), nu, couvert des cendres des cadavres calcinés, saisit une Kalachnikov et, du fond de scène, tire sur la foule qui le regarde. Nous. Se repaître de nos cendres. Nulle pénitence ici. Juste l’abandon de toute humanité. Et la haine de l’autre.

Christophe Montenez  Les Damnés mise en scène Ivo van Hove

La moisissure des vivants

La caméra ne filme pas seulement l’horreur, elle joue avec. A ce titre, une des scènes choc est sans nulle doute l’après-midi orgiaque que les SA passent prés du lac avant de finir abattus lors de la tristement célèbre « Nuit des couteaux ».  Le travail de Tal Yarden autour de la vidéo est si millimétré que les deux acteurs sur le plateau Denis Podalydès et Sébastien Baulain s’inscrivent dans une image enregistrée qui donne à voir le groupe des SA sur l’écran. Aux deux corps nus sur scène répondent les corps multiples nus filmés en plongée. Le procédé déréalise la brutalité de ce qui est montré. Beuverie, travestissement, mutilation, accouplement simulé, écrasés par l’angle de vue, s’apparentent à un jeu vidéo macabre où il s’agirait de comparer la réalité du plateau et l’image en plongée dans laquelle elle s’inscrit.

Les Damnés photo ANNE-CHRISTINE POUJOULAT / AFP

 

La chorégraphie sanglante est d’autant plus saisissante qu’elle s’accompagne d’un univers sonore puissant et agressif ( Eric Sleichim) : chants militaires beuglés, voix d’Hitler parvenant des hauts parleurs des balcons de la salle, tirs couplés aux sauts d’images quand les assassinats ont lieu.  Les corps ne sont plus que des objets. Les chairs blanches ne sont plus que des taches. Le massacre peut survenir. Celui du SA Konstantin Essenbeck (Denis Podalydès) et de ses sbires. Cadavres blafards qui préfigurent les millions d’autres à venir.

Les Damnés             Photo Christophe Raynaud de Lage
Privé de ciel, l’homme regarde son abomination dans ce miroir rouge sang. Ce qu’on nous donne à voir c’est la moisissure des êtres vivants, ceux qui ont renoncé à se penser comme humain, ceux qui glorifient la mort enduits de croyances putrides, ignorant qu’ils ne sont rien et qu’ils ne signifient rien.  Cette confrontation au sein du théâtre avec nous-mêmes -spectateurs-voyeurs- de cette damnation moderne pourra en choquer certains mais la proposition d’Ivo van Hove est riche et passionnante.
 Eric Ruf doit être salué pour ce choix artistique courageux.

http://www.comedie-francaise.fr/spectacle-comedie-francaise.php?spid=1531&id=517

 

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