Hamlet mise en scène Luca Giacomoni
Présentée au Monfort Théâtre, dans le cadre du Festival d’Automne à Paris, Hamlet, la dernière création de Luca Giacomoni, d’après William Shakespeare, interroge le sens même de l’apport du théâtre aujourd’hui. Sur le plateau, acteurs professionnels et usagers en suivi psychiatrique au GHU de Paris expérimentent en direct les écueils d’un monde disloqué (Voir l’interview vidéo de Luca Giacomoni par M La Scène)
Un monde disloqué
Folie, spectre, névrose, obsession, illusions, nourrissent la tragédie en cinq actes de William Shakespeare, Hamlet. « Something is rotten in the state of Denmark » déclare un des personnages. En effet, plus rien n’est à sa place et tout se délite. L’ancien roi est mort. Sur le trône, Claudius, son frère, est maintenant assis à sa place. Deux mois se sont à peine écoulés avant qu’il n’épouse sa veuve. Hamlet, le fils du défunt roi, ne peut faire le deuil de son père. Bientôt, le fantôme de celui-ci lui apparait. Le jeune prince apprend alors, de la voix du mort, que Claudius a assassiné son père. Hamlet ne sera plus que vengeance. Pour démasquer les coupables, il simule la folie et fait jouer par des comédiens, devant la cour, une pièce qui retrace le meurtre de son père. Les masques tombent mais la spirale de la vengeance n’épargnera personne.
On comprend pourquoi la pièce de Shakespeare continue à tant intéresser les metteurs en scène. Dans Hamlet, le théâtre est un lieu de révélation. Pour Luca Giacomoni, au coeur d’Hamlet, « il y a vraiment la question du théâtre et la question d’un acte qui soit vrai au milieu d’un monde de mensonges ». Cet « acte vrai« , Luca Giacomoni le travaille en plaçant sur le plateau des comédiens professionnels, comme l’impressionnante Valérie Dréville ( Gertrude) ou le jeune Louis Plesse ( Hamlet) mais, également, des usagers en suivi psychiatrique au GHU de Paris.
Passer le paraître
Pour chacun des « acteurs » de la représentation, l’expérience se joue en direct. Il s’agit d’interroger les frontières entre une folie contrefaite ou réelle et de brouiller la perception de ce que l’on donne pour vrai ou tangible.
A ce titre, la mise en abyme, opérée à l’acte III, donne lieu à un moment théâtral très intéressant. Un large tapis en boule est déplié. Il devient la scène sur laquelle doit être joué le meurtre du père. L’un des coins légèrement surélevé constitue une improbable estrade. Sur ces « planches » qui n’en sont pas, Luca Giacomoni choisit d’installer Gertrude et Claudius et non la reine et le roi de théâtre. Les personnages interprètent les comédiens dans le spectacle qui doit les démasquer. Ce dédoublement donne corps à une nouvelle fiction. Dans ce moment de théâtre dans le théâtre, Valérie Dréville joue Gertrude, les yeux bandés, propulsant son texte, face public, comme on jette des cailloux ardents. Tandis que l’acteur non professionnel qui interprète Claudius lit ses répliques sur son petit cahier. Force et fragilité se rejoignent de façon étonnante.
Peu après, le regard sur la surface des choses est encore mis à mal. Une toile vierge siège sur un chevalet. « Claudius » repeint celle-ci en blanc. Rien n’apparaît changé puisqu’elle semble la même. Ensuite, sous l’effet de la colère, le personnage la macule de terre. Bientôt, « Claudius » y trace des linéaments. Deux visages surgissent alors grâce à la double épaisseur de matière. Ce qu’on croyait avoir vu n’existe plus et l’on découvre une autre réalité qui se dévoile : des portraits. Ce réel est vécu dans l’éphémère de la représentation, aussitôt broyé entre les mains de celui qui l’a peint et créé.
Le plateau, un lieu de danger
La scénographie renvoie l’image d’un lieu dévasté, éclaté, où tout peut arriver. Le monde d’avant n’existe plus. Il s’est s’effondré. « Il était pour moi impossible d’avoir un plateau propre, ordonné. alors, qu’il s’agit de chaos. » précise Luca Giacomoni. Au chaos intérieur des âmes répond la dislocation de l’espace. Chaise, fauteuil, piano, établi, pierres, sable, bassines en émail, cordes, pupitre, chevalet, tous ces objets éparpillés, dressent les contours d’un monde qui n’a plus de centre. La terre que l’on jette vers le ciel ne fait que retomber. L’eau n’efface pas la souillure.
La mise en scène sollicite un engagement physique et intense des acteurs. Danse, passages au sol, lutte contre les éléments qui contraignent, ascension sur des objets, le travail des corps construit l’empreinte inquiétante du réel. Car, on le sent, dans le mouvement aussi, le danger rode. La musique (piano et chant Nathalie Morazin) accompagne l’avancée de la tragédie. L’instrument à cordes n’échappe pas à la destruction finale. Désossé, à l’instar des bustes des comédiens qui se dénudent quand leur personnage meurt, son squelette est mis à nu, pour en tirer la partition finale. On retiendra également l’image ultime du spectacle, magnifiquement construite par les lumières de Bartolo Filippone. Une silhouette humaine, auréolée de présences fantomatiques, se fige et se déforme dans le même sursaut.
Après l’Iliade d’après Homère, Hamlet, la nouvelle création de Luca Giacomoni prouve encore l’importance pour le théâtre d’interroger notre présent et de porter sur scène ceux qui sont invisibles. ♥♥♥
Hamlet
d’après William Shakespeare
Traduction Jean-Michel Déprats
Mise en scène et adaptation Luca Giacomoni
Une partition théâtrale et musicale pour 12 interprètes, professionnels et non-professionnels
avec Olivier Constant, Laure Darras, Valerie Dréville, Elodie Franques, Tarik Kariouh, Vicente Olivier, Serge Nail, Edouard Penaud, Fabrice Pesle, Louis Plesse, Quentin Vernede
Piano et chant Nathalie Morazin
Dramaturgie Sarah Di Bella
Assistanat à la mise en scène Paola Pelagalli, Leila Blier
Collaboration artistique Agnès Adam, Giuseppina Comito
Danse des couteaux Davide Monaco
Objets de scène Jacopo Leone
Costumes Cécile Laborda
Création lumières Bartolo Filippone
Intéressés par une autre critique de M La Scène sur un spectacle de Luca Giacomoni ? Celle sur sa création l’Iliade d’après Homère pourrait vous plaire.