Trancher, au Théâtre La Flèche, fouille l’héritage, la judéité et le vertige du choix amoureux. Sophie Engel, portée par la mise en scène inventive et précise d’ Héléna Sadowy, y tisse un récit intime, tonique et affûté.
Trancher : être juive et aimer ?
Trancher de Sophie Engel met à nu la fracture intime qui traverse tant de jeunes gens pris entre deux mondes. Celui, exigeant, parfois redoutable, imposé par l’héritage, et celui, convoité, où l’on peut s’affranchir des diktats familiaux. Cette tension secrète, souvent tue, trouve son point de rupture dans le choix amoureux. Un lieu, où les désirs intimes affrontent les monstres tapis depuis l’enfance, où la tradition se heurte aux échappées de liberté. Sophie Engel, propose, seule en scène, un récit scénique bref, acéré, tonique et drôle, nourri de son expérience personnelle.
Son personnage avance à tâtons dans le labyrinthe de ses échecs amoureux. La jeune femme enquête, fouille, plonge dans les eaux troubles de sa propre histoire religieuse pour comprendre ce qui, en elle, se dérobe toujours. L’humour sert d’outil, de masque, parfois de bouée. Il permet d’aborder la religion juive avec une honnêteté rare, loin des clichés. Sophie Engel en montre les beautés, les contradictions, les espaces d’ouverture comme ceux d’enfermement. Elle rappelle avec finesse et dynamisme qu’il existe de multiples relations possibles à sa lignée.
L’humour comme arme blanche
Le spectacle s’ouvre sur une chambre en désordre, métaphore du chaos intérieur qui habite le personnage Au milieu du plateau, un lit surmonté d’édredons, de couette, de traversins, se dresse comme un îlot protecteur au milieu de la tempête. C’est dans cet endroit ouaté que la comédienne se confronte au « monstre marin » qui ne cesse d’exiger qu’elle quitte les hommes dont elle s’est éprise. « Tu n’es pas juif » lance-telle, à chaque fois comme malgré elle, au milieu de la nuit.
La nécessite de remonter à l’origine du mal s’impose alors pour elle. Armée de bottes, de cuissardes de pêcheur et d’un masque, elle pagaie à la recherche de l’antre de la créature, plonge dans les profondeurs des draps, se hisse sur le lit, affronte le monstre noir qui prend corps et voix à côté d’elle. La dérision, le rire et la fantaisie deviennent souvent le canif qui tranche la lourde matière testamentaire dont la jeune femme est légataire.
La mise en scène d’Héléna Sadowy, inventive et précise, convainc au plus au point. Elle organise une odyssée cocasse et prenante entre draps et ténèbres. Les lumières de Gautier Devoucoux accompagnent chaque étape de l’aventure âpre et tumultueuse vécue par le personnage. Sophie Engel avance entre gravité et désinvolture, dans un équilibre fragile qui fait la force du spectacle. Trancher réussit ce que le théâtre intime offre de plus précieux. Faire d’un conflit intérieur un territoire de partage. Rappeler que l’émancipation naît parfois d’un simple geste : oser regarder sa propre histoire, droit dans les yeux, pour espérer s’en affranchir.
Trancher se referme comme une parole qui trouve enfin son souffle. Sophie Engel y déploie une présence vibrante et lumineuse, guidée avec beaucoup de finesse par Héléna Sadowy. Leur complicité révèle un chemin de vérité, sans détour, qu’il ne peut que séduire.
Les M de M La Scène : MMMMM
TRANCHER
THÉÂTRE LA FLÈCHE
du 11 OCTOBRE AU 13 DÉCEMBRE 2025 LES SAMEDIS À 19H