Critique Occupations

Mise en scène Séverine Chavrier

photo Zoé Aubry
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Occupation
©zoé Aubry

Au T2G – Théâtre de Gennevilliers, Séverine Chavrier présente, dans le cadre du Festival d’Automne, Occupations, sa dernière création. La vidéo y façonne le regard autant qu’elle enferme les interprètes dans un espace clos. Placés de part et d’autre du plateau, les spectateurs, contraints de suivre l’action à travers des images fragmentées, restent à distance d’une intimité qui leur échappe.

Occupations : A coeurs fermés

Dans sa nouvelle création, Occupations, Séverine Chavrier assemble une matière hétérogène faite d’extraits littéraires féminins et de paroles recueillies auprès d’interprètes d’une vingtaine d’années. Le projet affiche l’ambition d’explorer les relations affectives contemporaines en confrontant récits d’hier et vécus d’aujourd’hui. Mais sous cette promesse stimulante, l’architecture dramaturgique peine à dépasser l’exercice de style. La réflexion se disperse dans un foisonnement de références, de Marguerite Duras, Simone de Beauvoir, Annie Ernaux, à la philosophie du genre. Les citations projetées sur écran, de façon quelque peu artificielle, semblent moins éclairer qu’alourdir le propos.

Le plateau bi-frontal, pensé comme brèche dans la normativité conjugale, offre pourtant un dispositif scénique incontestablement fort. Le public est disposé de part et d’autre d’un espace domestique saturé d’objets. Au point qu’il évoque parfois une épicerie, une cuisine ou une bibliothèque. Le spectateur est amené à observer les interprètes, à travers un voile transparent, une sorte de vitrine, voyeur involontaire ou consentant d’un théâtre du désir. La circulation entravée des regards renvoie, hélas, constamment les spectateurs à leur place d’observateurs éloignés. Ils ne semblent jamais conviés à l’expérience intérieure que la pièce voudrait produire. À mesure que ces corps se débattent entre fragilité, érotisme et récit intime, l’écart se creuse entre l’intention immersive et la réception réelle.

Car le traitement vidéo, censé compléter et troubler cette observation, finit paradoxalement par accentuer la distance. Trois petits écrans, fixés sur la structure, semblables à de petits téléviseurs, délivrent des images fragmentées. Celle-ci sont régulièrement filtrées selon les codes des réseaux sociaux. Le geste, d’abord intriguant, se heurte à une certaine monotonie visuelle, comme si un dispositif pensé pour démultiplier le réel finissait par l’aplatir. Sous couvert de modernité, l’usage systématique de ces effets questionne moins qu’il ne lasse, reléguant au second plan la profondeur émotionnelle que la metteuse en scène voulait pourtant traquer.

 

Occupations Séverine Chavrier
Photo Zoé Aubry

La figure de l’enfermement

Le huis clos s’organise dans un espace de verre. Figure d’un enfermement d’où il s’agit de s’extraire. Celui du carcan de la normalité et des clichés. Composée de parois épaisses translucides, aux formes rectangulaires, la boîte s’apparente à un assemblage d’aquariums. Elle-même se présentant comme le réservoir où les quatre jeunes interprètes (Hugo Cardinali, Jimy Lapert, Jasmin Sisti et Judit Waeterschoot.) évoluent, prisonniers. A l’instar, des poupées Barbie plongées, tête la première dans l’eau, ou des figurines de mariés pour pièce montée, qui gisent au fond d’un aquarium.

Les interprètes ne déméritent pas. Issus de la danse, du cirque, ou « performers » , ils manipulent les objets ou la caméra, mènent le jeu pendant deux heures. Ils deviennent également « autres » grâce aux transformations visuelles offertes par les filtres de réseaux sociaux. Donnant ainsi l’illusion amusante d’être multiples.

A travers leurs discussions, Séverine Chavrier cherche à capter la sensibilité d’une génération qu’elle dit rétive à l’abandon de soi. Il s’agit de scruter leur rapport au corps, au genre, à la conjugalité, à la « tendresse » .  Mais la mise en exposition répétée des jeunes interprètes, réduits souvent à des éclats de voix ou de peau, ne laisse que rarement émerger la complexité revendiquée. Le résultat donne l’impression d’une démonstration plus que d’une incarnation, d’une carte conceptuelle qui ne trouve jamais tout à fait son territoire sensible.

L’Écho affaibli d’une quête

La chorégraphie des gestes, soutenue par une bande-son raffinée mêlant musique de chambre, rock ou techno, installe bien une tension, parfois une beauté brute. Pourtant, cette esthétique soignée semble davantage draper les corps qu’en révéler la vérité. À mesure que la vidéo les multiplie, les déforme ou les masque, les interprètes deviennent des figures presque théoriques, objets d’étude plutôt que sujets traversés par un désir vivant. Le spectateur, placé sur les rives du dispositif, ne perçoit alors que l’écho affaibli d’une quête, pourtant annoncée comme fondamentale. Comment dire la tendresse, sortir des stéréotypes amoureux ?

Ainsi, malgré quelques moments d’éclat notamment vers la fin du spectacle, l’ensemble semble se heurter à ses propres ambitions. À force de vouloir déconstruire, dé-normaliser, fragmenter, le spectacle laisse une impression de vacuité là où l’on attendait une profondeur renouvelée. La scénographie (Louise Sari) brillante mais par trop fermée, maintient les spectateurs dans une position quasi clinique. Ils scrutent sans jamais vraiment partager et se lassent. Le sentiment naît que si Séverine Chavrier sait admirablement interroger la forme, à n’en pas douter, c’est le cœur, cette fameuse tendre subversion qu’elle revendique, qui peine à trouver ici son souffle.

 

Occupations, la dernière création de Séverine Chavrier, impressionne davantage par son dispositif que par la profondeur qu’elle prétend sonder. À force de filtrer les corps, de fragmenter les gestes et de tenir le public à l’écart derrière ses écrans, le spectacle semble se piéger lui-même dans l’esthétique qu’il brandit. La démonstration est habile, parfois brillante, mais elle laisse en suspens ce qu’elle promettait d’explorer : la vibration intime du désir, que ni la technologie, ni l’enfermement scénique, ne parviennent vraiment à faire advenir.

Les M de M La Scène : MMMMM


Occupations

T2G Théâtre de Gennevilliers

Mise en scène, Texte et son Séverine Chavrier

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Distribution

Avec Hugo Cardinali, Jimy Lapert, Jasmin Sisti et Judit Waeterschoot.

Vidéo Quentin Vigier.

Son Simon d’Anselme de Puisaye.

Scénographie Louise Sari.

Lumière Jérémie Cusenier et Alexandre Schreiber.

Assistanat à la mise en scène Adèle Joulin.

Assistanat à la scénographie, costumes et accessoires Maria-Clara Castioni et Margaux Moulin.

Conseil dramaturgique Noémi Michel et Antoine Girard, et l’ensemble des équipes administratives et techniques de la Comédie de Genève.

Réalisation décor Ateliers de la Comédie de Genève.

Citations des œuvres d’Annie Ernaux (Passion simpleLes AnnéesMémoires de filleL’OccupationSe perdre), Paul B. Preciado (PornotopieLa Société contre sexuelle), Iris Brey (Le Regard féminin), Kim de l’Horizon (Hêtre pourpre), Catherine Clément (L’Opéra ou la défaite des femmes) et Judith Butler (Trouble dans le genre).

Production Comédie de Genève
Coproduction T2G Théâtre de Gennevilliers – Centre Dramatique National ; le Festival d’Automne à Paris


 


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