Critique L’Événement

Mise en scène Marianne Basler

© Pascal Gely
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Le Théâtre de l’Atelier fait résonner à nouveau les mots d’Annie Ernaux, prix Nobel de littérature en 2022, avec la reprise de L’Événement, adaptation scénique de son récit autobiographique. Ce récit intime et universel raconte l’expérience d’un avortement clandestin dans la France des années 1960. Marianne Basler donne chair à la lucidité implacable de l’autrice et restitue toute la violence d’une époque.

L’Événement : Marianne Basler face à l’indicible 

La légalisation de l’interruption volontaire de grossesse intervient en France, en 1975. Le 8 mars 2024, le droit à IVG est inscrit dans la Constitution. Dans L’Événement, paru chez Gallimard, en 2000, Annie Ernaux revenait sur l’expérience intime et terrifiante de l’avortement clandestin qu’elle dut subir en 1963. À travers ce récit d’une rare intensité, l’autrice met en lumière le parcours semé d’humiliations, d’indifférences et de violences qu’elle a dû affronter. Comme tant d’autres à cette époque. Elle y révèle également combien l’appartenance sociale infléchit le regard porté sur une femme en détresse. De Paris à Rouen, de l’appartement sordide de la « faiseuse d’anges » à la chambre d’étudiante que la jeune femme de vingt-trois occupait, le récit ne cache rien de la brutalité du « sacrifice  » perpétué sur l’autel de l’hypocrisie d’alors.

Plus qu’un témoignage personnel, son texte devient acte de mémoire et geste politique. L’autrice restitue à la fois la solitude écrasante des femmes privées du droit de disposer de leur corps et la tartuferie d’une société prompte à condamner ce qu’elle contraignait dans l’ombre. À la croisée du récit intime et de l’analyse sociale, Annie Ernaux livre un texte d’une précision tranchante. L’écho résonne aujourd’hui avec une brûlante actualité, à l’heure où, en divers endroits du monde, l’avortement demeure contesté, restreint ou interdit. « Depuis la nomination de Donald Trump aux États-Unis, on assiste à une montée, voire à une alliance des extrêmes et à l’apparition de courants masculinistes associés à des positions anti-féministes et anti-avortement.  » rappelle Marianne Basler dans sa note d’intention. 

De la pénombre à la lumière

Sous les lumières fragmentées qui percent l’obscurité, Marianne Basler se tient seule, entièrement vêtue de noir. À la sobriété du dispositif scénique, une chaise, une table, répond la densité bouleversante du texte. Lucide, brut, sans pathos, le livre devient une matière incandescente, dont la comédienne se saisit avec une justesse à couper le souffle. Chaque mot est porté avec une précision presque chirurgicale. Le spectateur reçoit de plein fouet l’évocation des gestes clandestins et de la douleur infligée au corps féminin. La salle, saisie, vacille entre malaise et fascination. Le soir de la représentation, deux spectateurs sortiront incapables de soutenir la rudesse des mots et la crudité de la réalité qu’ils reconstruisent.

La mise en scène conçue par la comédienne ne laisse rien au hasard. Les déplacements lents, les silences, les voix off, le bruit assourdi du tic tac d’une horloge, quelques notes de « la Javanaise » chantée par Juliette Gréco, tout concourt à souligner la nécessité du témoignage. Marianne Basler donne corps à une expérience extrême où se mêlent la vie et la mort, la solitude et la libération salvatrice par l’écriture.

Elle prolonger l’entreprise d’Annie Ernaux :  « Il en est une chose dont je suis sûre plus que tout : les choses me sont arrivées pour que j’en rende compte. Et le véritable but de ma vie est peut-être seulement celui-ci que mon corps, mes sensations et mes pensées deviennent de l’écriture, c’est-à-dire quelque chose d’intelligible et de général, mon existence complètement dissoute dans la tête et la vie des autres. » A n’en pas douter, l’impact est tel que l’intensité de l’expérience traverse le spectateur de part en part.

Au Théâtre de l’Atelier, dans  L’Événement, Marianne Basler offre à la parole d’Annie Ernaux une intensité qui sidère.

L’avis de M La Scène : MMMMM

L’Événement

Théâtre de l’Atelier

Du 12 sept. au 19 oct.

De Annie Ernaux
© Éditions Gallimard

Mise en scène et interprétation Marianne Basler.
Collaboration artistique Jean-Philippe Puymartin.
Création lumière Robin Laporte.
Voix et sons Célestine de Williencourt.
Mixage Thomas Cordero.