Critique L’École de danse

mise en scène Clément Hervieu-Léger

L’École de danse de Carlo Goldoni Mise en scène : Clément Hervieu-Léger / Comédie Française - Photo©AgathePoupeney-
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L'école de danse
© Agathe Poupeney

À la Comédie-Française, Clément Hervieu-Léger redonne souffle et visibilité à L’École de danse, pièce longtemps reléguée en marge de l’œuvre de Carlo Goldoni. Sous son regard précis et délicatement ancré dans une esthétique picturale réaliste, le metteur en scène exhume un texte dont la modernité inattendue frappe par sa justesse.

L’École de danse : Un pas de liberté dans un monde corseté

On entre dans L’École de danse comme on franchit le seuil d’un atelier oublié. La poussière du temps ne semble cependant pas avoir totalement étouffé la modernité. Clément Hervieu-Léger exhume la pièce méconnue de Goldoni et en révèle l’étonnante acuité. La traduction en prose de Françoise Decroisette, adoubée par l’entrée du texte au répertoire de la Comédie-Française, agit ici comme une réparation historique. Elle restitue la simplicité nerveuse d’un auteur longtemps mésestimé, mais visionnaire.

Clément Hervieu-Léger inscrit volontairement l’intrigue à la fin du XIXᵉ siècle. Dès le lever de rideau, l’esthétique des tableaux réalistes d’Edgar Degas est convoquée. La Classe de danse, son maître de ballet sinistre muni de sa baguette, ses danseuses en tutus courts accrochées aux barres, revient en mémoire. Degas s’attache alors comme Jean Béraud à peindre l’envers du décor des scènes parisiennes, notamment celle de l’Opéra Garnier. Les coulisses ou le foyer de la danse révèlent crument la vulnérabilité des jeunes danseuses. De riches et vieux bourgeois concupiscents convoitent et saisissent leurs corps graciles.

Le choix de Clément Hervieu-Léger est particulièrement judicieux car, à n’en pas douter, une critique sociale aiguë affleure derrière la farce première. Goldoni radiographie un microcosme où chacun tente de ruser ou de mentir pour survivre. Exploitation, précarité, dépendance à un protecteur ou à une mère cupide, ambitions contrariées : les thèmes résonnent avec une acuité inattendue. Ces jeunes danseuses cherchent une échappée à la misère, à leur fragile condition. Mais, le mariage s’impose trop souvent comme l’unique issue. Seul un personnage parvient à s’affranchit de l’ordre établi. Claire de La Rüe du Can incarne cette jeune femme rebelle. Elle choisit le théâtre plutôt que l’époux. La liberté plutôt qu’un deuxième carcan. Une éclaircie dans un paysage où l’émancipation n’est cependant pas encore revendiquée.

Le rire et l’amertume

La troupe évolue dans le décor imaginé par Eric Ruf pour Le Misanthrope, également mis en scène par Clément Hervieu-Léger. A l’exception du lustre qui a disparu. Un vaste espace en sous-sol, aux teintes grises, définit l’école de danse. Dotée de trois petites fenêtres qui donnent, sur ce qu’on imagine être la rue ou un passage, celle-ci reçoit parfois la lumière du jour ou des réverbères. Deux escaliers permettent des entrées ou des sorties, par un palier ou une chambre. Une porte en fond de scène conduit au vestiaire et à ce qui semble être un vestibule. L’ensemble morose traduit la précarité qui sévit. C’est, vêtus de leurs seuls tutus clairs ou de leur tenue de travail à la barre, que les danseurs affrontent le froid. Ceux qui entrent portent manteaux et chapeaux.

Face à cette grisaille, la mise en scène et la direction d’acteurs apportent la rythmique qui soutient l’intérêt. Denis Podalydès, en maître de danse autoritaire et dépassé, impose une présence réjouissante. Ses gestes nerveux, ses entrechats de mains, dressent le portrait d’un professeur incompétent et vénal. Autour de lui, les danseurs récalcitrants préfèrent visiblement l’oisiveté et les amourettes, au travail de la barre. Les élèves entrent, sortent, se cachent, tandis que Philippe Cavagnat, au piano accompagne le ballet. Florence Viala, en sœur esseulée, portée sur la boisson, incarne magnifiquement une solitude d’une drôlerie amère. Loïc Corbery, en adorateur sincère face à la rusée Pauline Clément, déploie les affres de l’amour avec une intensité quasi tragique. Ainsi, la solide distribution tire-t-elle le texte vers une comédie de caractère, vive, mais acide.

Clément Hervieu-Léger, en revisitant L’École de danse, ressuscite un moment clé de la réforme théâtrale, celui où Goldoni défie les codes figés de la Commedia dell’arte. Une entreprise précieuse qui permet de découvrir un classique qui murmure juste.

Les M de M La Scène : MMMMM


L’École de danse

Carlo Goldoni

Mise en scène : Clément Hervieu-Léger

Distribution

Traduction : Françoise Decroisette

Scénographie : Éric Ruf
Costumes : Julie Scobeltzine
Lumière : Bertrand Couderc
Son : Jean-Luc Ristord
Collaboration artistique et chorégraphique : Muriel Zusperreguy
Collaboration artistique : Frédérique Plain
Assistanat à la scénographie : Anaïs Levieil
Assistanat aux costumes : Kali Thommes de l’académie de la Comédie-Française Assistanat à la lumière : Enzo Cescatti

Avec la troupe de la ComédieFrançaise : Éric Génovèse Don Fabrizio, imprésario Florence Viala Madame Sciormand, sœur de monsieur Rigadon Denis Podalydès Monsieur Rigadon, maître de danse Clotilde de Bayser Lucrezia, mère de Rosina Loïc Corbery le Comte Anselmo, amant de Giuseppina Stéphane Varupenne Ridolfo, courtier, amant de madame Sciormand Noam Morgensztern un notaire, Claire de La Rüe du Can, Felicita, élève, Pauline Clément Giuseppina, élève, Jean Chevalier Filippino, élève, Marie Oppert Rosalba, élève, Adrien Simion Tognino, serviteur de monsieur Rigadon, Léa Lopez Rosina, élève Charlie Fabert Carlino, élève et Diego Andres* Lila Pelissier* Alessandro Sanna* Philippe Cavagnat le Pianiste.

* membres de l’académie de la Comédie-Française

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