Critique Le Présent qui déborde
Le Présent qui déborde – Notre Odyssée II de Christiane Jatahy, deuxième volet du diptyque consacré à l’oeuvre d’Homère, questionne l’idée de la frontière. Celle entre le cinéma et le théâtre. Celle entre le réel et la fiction. Celle entre le pays quitté et celui de l’exil. Celle entre l’Autre et nous. Riche et sincère, le projet convainc.
La question des frontières
Lorsque le spectateur rentre dans la salle, le film a déjà commencé. Sommes-nous en retard sur le présent de la représentation ? Ou sommes-nous déjà en retard sur notre présent qui déborde ?
Sur le grand écran, les images montrent une longue table rectangulaire, dressée à l’extérieur. Le film restitue un repas. Les plans s’enchaînent. Gros plans. Plans rapprochés. Plans d’ensemble. Parfois à hauteur de table, la camera filme des assiettes, des verres, des bouteilles de Fanta, de Cola. Puis, des visages, de nombreux visages d’hommes jeunes. Et des éléments de nature, des arbres, des feuillages. A un moment, on voit la metteuse en scène, Christiane Jatahy, entrer dans le champ et parler à un homme. Que sommes-nous en train de regarder ? Un documentaire ? Réel ou mis en scène ? La question de la frontière est tout de suite posée.
L’écran ne quittera pas le plateau. Comme l’indique Christiane Jatahy « Le cœur du travail se trouve dans le cinéma. » Les acteurs sont tous des exilés : Palestiniens dans le camp de Jénine près de la Jordanie, Syriens au Liban, artistes malawis réfugiés en Afrique du Sud. L’équipe du spectacle a été filmer en Palestine, au Liban, en Grèce, en Centre Afrique et enfin en Amazonie, ces « personnes qui vivent leurs propres odyssées ». Réfugiés, ayant perdu leur Ithaque, ils jouent des épisodes de L’Odyssée qui dressent des passerelles entre leur réalité douloureuse et la fiction homérique.
Le voyage in situ
C’est dans un va et vient entre le réel vécu par les acteurs dans le film et celui des mêmes acteurs, présents avec nous dans la représentation, que se construit le spectacle. Entre les images filmées, montées qui appartiennent forcément à un passé enregistré et notre présent de spectateur, Christiane Jatahy travaille la porosité entre cinéma et théâtre.
Dans Ithaque, Christiane Jatahy, disait déjà l’impossible retour pour l’exilé. Le spectateur faisait physiquement l’expérience de ce voyage illusoire. Dans Le Présent qui déborde, les réfugiés filmés dans les camps sont prisonniers d’un présent sans avenir. Mais, certains d’entre eux, présents parmi nous, assis sur le siège d’à côté, naviguant dans les allées, les escaliers, jouant de la musique, chantant, dansant, proposent que nous vivions, avec eux, un voyage in situ. L’oeuvre s’inscrit dans le présent du lieu où elle se vit. Débordant l’écran, débordant la salle. Comme un flot généreux qui relierait l’ailleurs et l’ici des hommes.
O Agora que demora
La metteuse en scène, comme son scénographe Thomas Walgrave, sont présents également sur le plateau. Une façon de s’inscrire dans le présent de cette odyssée artistique et de faire le lien entre le film et la représentation que nous vivons. Christiane Jatahy ouvre le spectacle et le clôt. S’avançant seule sur scène, au devant de nous, elle confie les motivations du voyage personnel qui l’a conduite au Brésil, en Amazonie, aux sources de son histoire. Le titre O Agora que demora témoigne également de cette quête vers le père disparu. Telle celle de Télémaque à la recherche d’Ulysse.
L’engagement total, sincère, généreux, à chaque étape du projet, touche et convainc.
Festival d’Avignon #FDA 19 Critique LE PRÉSENT QUI DÉBORDE – NOTRE ODYSSÉE II
Mise en scène, réalisation, dramaturgie Christiane Jatahy
Collaboration artistique, scénographie, lumière Thomas Walgrave
Collaboration Henrique Mariano
Photographie Paulo Camacho
Son Alex Fostier
Musique Vitor Araújo, Domenico Lancellotti
Avec Faisal Abu Alhayjaa, Manuela Afonso, Abed Aidy, Omar Al Sbaai, Abbas Abdulelah Al’Shukra, Maroine Amimi, Vitor Araújo, Bepkapoy, Marie-Aurore D’Awans, Emilie Franco, Joseph Gaylard, Noji Gaylard, Renata Hardy, Ramyar Hussaini, Iketi Kayapó, Irengri Kayapó, Ojo Kayapó, Laerte Késsimos, Kroti, Yara Ktaish, Pitchou Lambo, Abdul Lanjesi, Melina Martin, Jovial Mbenga, Nambulelo Meolongwara, Linda Michael Mkhwanasi, Mbali Ncube, Pravinah Nehwati, Adnan Ibrahim Nghnghia, Maria Laura Nogueira, Jehad Obeid, Ranin Odeh, Blessing Opoko, Phana, Pykatire, Corina Sabbas, Leon David Salazar, Mustafa Sheta, Frank Sithole, Fepa Teixeira, Ivan Tirtiaux, Ahmed Tobasi
Festival d’Avignon #FDA19 Lire une autre critique théâtre M La Scène