Critique La Cerisaie 桜の園
mise en scène de Daniel Jeanneteau et Mammar Benranou
Daniel Jeanneteau et Mammar Benranou poursuivent leur compagnonnage avec le Japon et le Shizuoka Performing Arts Center. La Cerisaie 桜の園 présentée au Théâtre de Gennevilliers réunit acteurs japonais et français sur le même plateau. Au delà des différences, une partition fluide et sensible se déploie sur scène.
Une cerisaie ouverte au monde
Pièce canonique du répertoire, La Cerisaie d’Anton Tchekhov, met en scène une famille d’aristocrates russes ruinés. Faute d’argent, la mère, Lioubov, et la fille, Anya, qui voyageaient à l’étranger depuis cinq ans retrouvent la maison natale. Rien ne semble avoir changé. Pourtant, les dettes s’accumulent et la vente de la cerisaie paraît inéluctable. C’est finalement un ancien « moujik », Lopakhine, qui achète le domaine et rase le verger. Un monde chasse l’autre.
C’est Satoshi Miyagi, le directeur du SPAC à Shizuoka, au Japon, qui a proposé à Daniel Jeanneteau et Mammar Benranou de monter un Tchekhov. Le dramaturge russe n’avait pas encore été monté dans ce théâtre. Le choix des metteurs en scène s’est porté sur La Cerisaie. Sans doute, explique Daniel Jeanneteau, parce que la pièce leur semblait être « la plus hospitalière, la plus à même d’accueillir autant de différences entre les acteurs, nos cultures, nos univers. Peut-être parce que c’est une pièce très ouverte au monde et qui s’interroge sur l’état général de la société, sur l’état général du monde qui entoure ces personnages, et leur situation dans leur vie, dans leur époque. Et parce qu’on y trouve assez facilement des rapports avec ce que nous vivons aujourd’hui. »
La pièce réunit, dans la même distribution, des acteurs japonais et français. Ensemble sur le plateau, ils livrent une partition fluide et sensible. Par delà les différences, l’écoute de l’autre est telle qu’ils semblent parler une seule et même langue. Libre, musicale, ancrée dans le présent du moment partagé. « Une oralité qui n’est plus asservie à la compréhension » , ainsi que l’indique Daniel Jeanneteau.
Comme un tableau mouvant
La scénographie de Daniel Jeanneteau, comme les projections vidéos conçues par Mammar Benranou construisent un univers onirique de toute beauté. La cerisaie n’est pas représentée. Un ciel mouvant, traversé d’oiseaux, nimbé de nuages, bâtit l’image métaphorique du verger puissant mais à la mutation certaine. Selon Mammar Benranou, c’est comme si « la cerisaie elle-même nous parlait de sa propre finitude. » Inexorablement, le ciel se teinte de menaces, jusqu’au noir final.
Aux nuages célestes, répond le tapis blanc, moutonneux, qui nappe la scène aux trois premiers actes. Des lés de rideaux transparents de chaque côte du plateau s’animent sous le souffle du vent ou des entrées. successives. L’image d’un monde flottant se dessine, comme un écho à certaines estampes japonaises. La scène inaugurale, l’entrée de Douniacha avec une bougie, saisit le spectateur par sa beauté.
Flanqué, de chaque côté, par deux fossés en contre-bas, l’espace de jeu évoque l’idée d’un entre-deux. Celui d’un présent entre la vie et la mort. Pour Daniel Jeanneteau, « le plateau est un seuil, infini, dans lequel on peut vivre des éternités multiples. » Sur cette bande surélevée au-dessus du vide, les personnages vivent l’expérience de leur fragilité mais, se projettent avec joie vers un devenir dont ils ne savent encore rien.
Accompagnée par l’envoutante composition musicale de Hiroko Tanakawa, La Cerisaie 桜の園, mise en scène par Daniel Jeanneteau et Mammar Benranou, réaffirme, par touches sensibles, l’universalité de l’oeuvre de Tchekhov.
Les LM de M La Scène : LMMMMM
La Cerisaie 桜の園
Du 10 au 28 novembre 2022 Théâtre de Gennevilliers
Texte Anton Tchekhov
Traductions André Markowicz et Françoise Morvan (pour le texte français), Noriko Adachi (pour le texte japonais)
Conception et mise en scène Daniel Jeanneteau, Mammar Benranou
Scénographie Daniel Jeanneteau
Lumière Juliette Besançon
Son Isabelle Surel
Vidéo Mammar Benranou
Composition musicale Hiroko Tanakawa
Costumes Yumiko Komai
Avec Kazunori Abe, Solène Arbel, Axel Bogousslavsky, Yuya Daidomumon, Aurélien Estager, Haruyo Hayama, Yukio Kato, Katsuhiko Konagaya, Nathalie Kousnetzoff, Yoneji Ouchi, Philippe Smith, Sayaka Watanabe, Miyuki Yamamoto
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