Critique Edelweiss [France Fascisme]
mise en scène Sylvain Creuzevault
Edelweiss [France Fascisme] de Sylvain Creuzevault met en scène les écrits ou discours d’intellectuels français appartenant à la droite nationale de 39 à 45. Une plongée, totalement maîtrisée, dans les eaux nauséabondes de la Collaboration.
Le fascisme à la française
Robert Brasillach, Jacques Doriot, Marcel Déat, Lucien Rebatet, Pierre Drieu la Rochelle, Pierre-Antoine Cousteau, autant de noms qui, peut-être, ne disent plus grand chose à certains. Pourtant, tous ces hommes ont marqué de leur plume putride la presse française dans les années 40. Leur prose s’affiche principalement dans le journal à fort tirage, « Je suis partout », ouvertement antisémite et pro-nazi. Des appels au meurtre contre les Juifs, contre Léon Blum et les hommes de la IIIe République, contre les communistes, se multiplient. Violents, haineux, résolument fascistes, les hommes qui écrivent dans ce journal prêtent allégeance aux nazis et deviennent les suppôts de la Collaboration française.
A ces noms, viennent s’ajouter celui Louis-Ferdinand Céline, et ceux des figures politiques de la Collaboration. Pierre Laval, chef du gouvernement de Vichy, le clame à la radio, dès juin 41 : il souhaite la victoire de l’Allemagne. Car, dit-il, « sans elle le bolchevisme s’installera partout. » Laval est celui qui signe l’ordre de la rafle du Vel d’Hiv, et autorise la déportation des enfants juifs vers Auschwitz-Birkenau. Il crée la Milice française et confie les rênes de cette organisation fasciste à l’extrémiste pro-nazi, Joseph Darnand.
Sur le plateau d’Edelweiss [France Fascisme], tous ces personnages réels sont convoqués. En revanche, seuls leurs prénoms ont été gardés. Les comédiens, qui incarnent ces figures historiques, tiennent parfois de grandes pancartes, sur lesquelles « Robert » , « Lucien » , « Pierre » , etc… sont inscrits, tandis qu’ils reprennent leurs paroles ou écrits, au mot près. Une façon d’instaurer une distance, tout en restituant la rhétorique fasciste dont les échos peuvent s’entendre au présent.
La haine et ses pantins
Sylvain Creuzevault a donc utilisé un matériau historique pour élaborer cette plongée dans les eaux nauséabondes où le fascisme en France s’affiche dans les mots et dans les actes. Pour brasser ces années marquées par la barbarie et balayer l’évolution des prises de position de chacun des protagonistes, le metteur en scène choisit d’ouvrir ou de fermer un rideau transparent sur chacune des scènes. Autant d’épisodes qui s’apparentent à des saynètes. Les personnages, souvent face public, apparaissent alors comme des pantins mus par la haine et la folie.
Au delà de l’aspect farcesque volontairement travaillé, certaines scènes marquent vraiment. Au centre du plateau, trois fascistes, dont Robert Brasillach s’assoient. Un quatrième est debout et porte l’insigne nazi. C’est en jouant du violon, du violoncelle et du piano qu’ils vantent l’avènement d’un nouveau type d’homme : l‘Homo fascista. Bientôt, des femmes et des hommes nus débarquent et se lancent dans une ronde d’une naïveté grotesque. Puis, ils prennent des poses à l’instar de celles des statues de marbre dont les images sont projetées au lointain.
Tout est là. Ainsi que l’écrit Drieu de la Rochelle, dès 1937, dans un article de L’Emancipation nationale. “La définition la plus profonde du fascisme, c’est celle-ci : c’est le mouvement politique qui va le plus franchement, le plus radicalement, dans le sens de la grande révolution des mœurs, dans le sens de la restauration du corps – santé, dignité, plénitude, héroïsme-, dans le sens de la défense de l’homme contre la grande ville et contre la machine” . Sauf que cette marche « dans le soleil et dans la pluie » parmi « les arbres et les ruisseaux » , se fera avec un « couteau. » Pour les fascistes et les nazis, la recherche d’une beauté canonique, instaurée et célébrée par la propagande, passe par l’extermination de tout ce qui est haï.
Passé, présent et décadence
Cette violence sur les esprits et sur les corps se retrouve aussi dans une scène de torture. Les onomatopées comiques employées n’enlèvent rien à l’horreur. Un milicien assassine son ami d’enfance qui refuse de partir pour le STO sur les ordres de Pierre Laval. La farce rappelle que nous sommes au théâtre mais ravive la brutalité du réel. Pour Sylvain Creuzevault, il s’agit de « Regarder la barbarie autrement qu’avec les yeux de l’effroi »
Le regard qui est posé n’est pas seulement nourri par le rire. Il s’accompagne de matières rigoureuses. Le rideau qui sépare les saynètes, sert aussi de vaste écran. Des noms, des dates, des événements, des images d’archives, voire des animations s’y inscrivent. La visée pédagogique s’assume : témoignages de membres du FTP MOI « figurés » par des acteurs, nombre de policiers français réquisitionnés pour la Rafle du Vel d’hiv, comparaison entre les résultats de deux commissariats. Certains fonctionnaires français choisissent la loi, celle de Vichy, d’autres la morale. Ces rappels historiques rythment l’avancée de spectacle jusqu’aux procès de la Collaboration en 1945.
Edelweiss [France Fascisme] n’est pas seulement tourné vers la restitution des mots fascisants du passé. En abordant la question de la décadence, passé et présent se télescopent. Sur l’écran, la couleur envahit la toile, rompant ainsi avec le décor sombre et brun. A une vitesse vertigineuse, une myriade de représentations jaillissent, tandis qu’en avant scène, la jeune Charlotte Issaly ( formidable comme tous les acteurs), lance l’une après l’autre des citations d’hommes politiques de la Collaboration et de la droite nationale ou extrémiste contemporaine. Chacun des nommés, vomit la décadence de la France, Laurent Wauquiez, Jean-Marie Le Pen, Eric Zemmour. Un appel à une nécessaire vigilance.
Comme en contre-point, à Edelweiss [France Fascisme], Sylvain Creuzevault monte, à la MC93 avec le Groupe 47 de l’École du Théâtre national de Strasbourg et des interprètes de sa compagnie, L’Esthétique de la résistance, d‘après le roman de Peter Weiss. Une façon d’interroger encore le fascisme français, par son contraire, le parcours initiatique d’un jeune ouvrier allemand, communiste antinazi de 1937 à 1945. Une entreprise maîtrisée et salutaire.
Edelweiss [France Fascisme]
Odéon – Théâtre de l’Europe. Berthier 17e
21 septembre – 22 octobre
mise en scène Sylvain Creuzevault
artiste associé
dans le cadre du Festival d’Automne 2023
de et avec Juliette Bialek, Valérie Dréville, Vladislav Galard, Pierre-Félix Gravière, Arthur Igual, Charlotte Issaly, Frédéric Noaille, Lucie Rouxel et Antonin Rayon (musicien)
dramaturgie Julien Vella
lumière Vyara Stefanova
scénographie Jean-Baptiste Bellon, Jeanne Daniel-Nguyen
création musique, son Antonin Rayon, Loïc Waridel
vidéo Simon Anquetil
maquillage, perruques Mityl Brimeur
costumes Constant Chiassai-Polin
assistant à la mise en scène Ivan Marquez
régie générale Clément Casazza
régie son Loïc Waridel
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