Critique Comme tu me veux
mise en scène Stéphane Braunschweig
Reprise au TNS de Comme tu me veux de Luigi Pirandello, mis en scène par Stéphane Braunschweig, qui ouvrait la saison du Théâtre de L’Odéon, en 2021. Sur les ruines traumatiques laissées par la première guerre mondiale, une femme, magnifiquement interprétée par Chloé Réjon, trébuche dans la reconstruction de son identité perdue. (Voir l’interview vidéo de Stéphane Braunschweig par M La Scène)
« N’être qu’un corps sans nom »
Ecrite en 1929, Comme tu me veux de Luigi Pirandello, donne à voir les ruines traumatiques laissées par la première guerre mondiale. A Berlin, une femme, danseuse dans un cabaret, mène une vie de débauche. Cette femme, très belle, « dévastée par les tourments de la vie » , le dramaturge ne lui donne pas de nom. Elle est et demeurera « l’Inconnue » . Pour ceux qui la convoitent en Allemagne, elle est « Elma » . Pourtant, un soir, un homme l’appelle « Lucia » . Pour lui, elle est la femme d’un officier italien, Bruno Pieri. Celle qui a disparu pendant l’invasion de la Vénétie par les armées austro-hongroises, en 1917. Tous ont imaginé les sévices que Lucia avait dû subir et certains ont envisagé sa mort. Parce que « son » mari cherche encore « sa petite Cia » , l’Inconnue va accepter d’aller en Italie et de se laisser reconnaître.
Mais il ne s’agit, pour elle, que de se fuir. De quitter une existence qui n’apporte que dégoût et désespoir. D’en finir avec Elma, ce prénom arabe qui signifie « L’eau » et qui reflète l’inconsistance de sa vie. Entre « Elma » , l’eau qui ruisselle entre les doigts et « Lucia » , la lumière, l’Inconnue, celle qui « n’est qu’un corps sans nom » , choisit l’espoir d’une vie nouvelle, quitte à se dissoudre dans les souvenirs d’un autre et à se confronter au mensonge et au vide.
Les Vertiges de l’identité
Luigi Pirandello est un auteur qui accompagne Stéphane Braunschweig depuis une quinzaine d’années. Après Vêtir ceux qui sont nus, Six personnages en quête d’auteur, Les Géants de la montagne, c’est la quatrième pièce du dramaturge italien qu’il met en scène. Comme tu me veux évoque les traumatismes de la guerre sur fond de montée du fascisme mais, également la volonté pour l’artiste d’échapper par l’imaginaire à une réalité objective qui contraint. Stéphane Braunschweig dit avoir eu envie de monter Comme tu me veux car, notre époque voit la « résurgence des populismes » : « les extrêmes droites profitent des ressentiments, des humiliations, des mécontentements », mais, également, parce que la pièce « parle des troubles de l’identité et de comment l’art peut vous aider à vous venger de la vie ».
Formidablement interprétée par Chloé Réjon, le personnage de l’Inconnue oscille d’une identité à l’autre. L’actrice domine le plateau. Elle fait résonner les fragilités du personnage, sa quête d’échapper à son propre désastre, ses tentatives d’épouser un autre visage que le sien, sa lutte pour exister dans les yeux des autres, et son dégoût pour toutes les compromissions. La force de l’interprétation de Chloé Réjon est telle qu’elle donne l’impression d’être totalement maîtresse du jeu. Les autres personnages gravitant dans sa lumière comme des papillons aveuglés. Si, pour le spectateur le doute persiste sur l’identité du personnage « Est-elle la vraie Lucia ? », il est clair que sa capacité d’incarnation, celle à devenir une autre personne, lui donne le pouvoir extraordinaire d’abolir les frontières étroites de la réalité et de stimuler l’imaginaire.
L’impossible dévoilement
La scénographie imaginée par Stéphane Braunschweig est à la fois d’une grande rigueur et fortement évocatrice. A Berlin, on danse sur des ruines. L’espace de la dépravation est matérialisé par un lourd rideaux vert et par deux filins où l’Inconnue se cambre. Le premier tableau figé qui ouvre le spectacle rappelle l’un des panneaux de « Métropolis » , le triptyque du peintre expressionniste Otto Dix.
En Vénétie, c’est un grand rideau blanc qui structure la salle de réception de la villa italienne. La symétrie et l’ordre règnent. La mise en scène, au cordeau, enferme l’Inconnue dans un lieu vide de toute passion. Semblablement, au portrait qui trône au-dessus du mur central, Lucia semble prisonnière des présences qui l’encadrent et qui la contraignent à ce qu’ils désirent d’elle. Tout au long du spectacle, des rideaux tombent, parfois avec fracas, se lèvent, s’abaissent mais sans que rien ne viennent dévoiler une réalité rassurante. Pour Stéphane Braunschweig « les rideaux tombent comme les constructions fragiles de l’existence, les illusions de l’existence. Cela ne veut pas dire que lorsqu’elles tombent cela va nous révéler la réalité, cela peut nous révéler aussi le vide, cela peut nous révéler à quel point nous sommes fragiles, à quel point on a besoin de ces illusions et à quel point elles sont fragiles. »
Cette nouvelle création de Stéphane Braunschweig offre un rôle poignant à Chloé Réjon. L’actrice, magnifique, s’affirme comme la maîtresse du jeu.
Les LM de M La Scène : LMMMMM
Comme tu me veux
de Luigi Pirandello
au Théâtre National de Strasbourg
27 fév au 4 mar 2023
mise en scène, scénographie et traduction française Stéphane Braunschweig
( La traduction de Stéphane Braunschweig est à retrouver aux Editions Les Solitaires intempestifs)
collaboration artistique Anne-Françoise Benhamou
collaboration à la scénographie Alexandre de Dardel
costumes Thibault Vancraenenbroeck
lumière Marion Hewlett
son Xavier Jacquot
vidéo Maïa Fastinger
archives vidéo Catherine Jivora
coiffures / maquillages Karine Guillem Michalski
assistanat à la mise en scène Clémentine Vignais
avec
Jean-Baptiste Anoumon, Cécile Coustillac, Claude Duparfait, Alain Libolt, Annie Mercier, Thierry Paret, Pierric Plathier, Lamya Regragui, Chloé Réjon, Thibault Vinçon
Spectacle vu à l’Odéon en 2021
Intéressés par une autre critique de M La Scène Blog théâtre sur une mise en scène de Stéphane Braunschweig ? Celle sur Nous, pour un moment pourrait vous plaire. On y retrouve une certaine filiation dans la thématique des âmes errantes en quête d’identité.