La bêtise en héritage
A l’Espace Cardin, Jérôme Deschamps adapte Bouvard et Pécuchet, le roman inachevé de Flaubert, en le passant à la moulinette Deschiens. Jubilatoire.
Bouvard et Pécuchet, c’est avant tout l’histoire d’une rencontre. Celle de deux hommes, deux copistes, qui tombent sous le charme l’un de l’autre, sur un banc parisien, étonnés de découvrir chez l’autre son alter ego. Parodie de rencontre amoureuse, celle de Bouvard et Pécuchet, est placée sous le signe de l’ironie la plus mordante.
« Deux hommes parurent.
L’un venait de la Bastille, l’autre du Jardin des Plantes. Le plus grand, vêtu de toile, marchait le chapeau en arrière, le gilet déboutonné et sa cravate à la main. Le plus petit, dont le corps disparaissait dans une redingote marron, baissait la tête sous une casquette à visière pointue.
Quand ils furent arrivés au milieu du boulevard, ils s’assirent, à la même minute, sur le même banc. »
Pour Flaubert, il s’agit d’imaginer un roman au vitriol : (…) « où j’exhalerai ma colère, où, je me débarrasserai enfin de ce qui m’étouffe. Je vomirai sur mes contemporains le dégoût qu’ils m’inspirent, dussé-je m’en casser la poitrine ; ce sera large et violent. » Cette histoire, qui fut un temps présentée comme celle de « deux cloportes », dresse le portrait de deux « bonhommes » qui entreprennent la quête d’un savoir encyclopédique. Mais, qui, désespérés face à leurs échecs successifs, finissent par retourner à ce qu’ils savent faire : copier.
Flaubert à la sauce Deschiens
Jérôme Deschamps et Micha Lescot incarnent ce couple grotesque. L’un petit et ventru, l’autre grand et fin. Comme Laurel et Hardy, cintrés dans leurs costumes trop étroits, ils jouent à plein de leur physique pour dessiner des silhouettes burlesques. Le plaisir qu’ils ont à outrer le geste ou la pose au bénéfice du rire est évident.
Sur scène, ce duo irrésistible est secondé par deux jeunes acteurs hilarants ( Pauline Tricot et Lucas Hérault) sortis tout droit de l’univers Deschiens. Frustres, légèrement arriérés, leurs personnages de paysans égayent en contrepoint le spectacle. La campagne est loin d’être celle rêvée par les deux copistes en mal d’idéal. Émergent d’un container rectangulaire en tôle rouillée, posé au centre du plateau, les corps tronqués, fidèles à l’esthétique de la troupe de Jérôme Deschamps, apparaissent comme des marionnettes, ridicules et parfois poétiques. Comme sur un petit théâtre de Guignol, enfantin et désuet.
Les lumières bleutées de Bertrand Couderc ( dont M La Scène avait déjà apprécié le travail en appui des scénographies d’Eric Ruf ) éclairent les différentes scènes et permettent d’apporter une unité à l’ensemble. Car, c’est l’unique reproche que l’on pourrait faire, du texte de Flaubert, le Bouvard et Pécuchet de Jérôme Deschamps s’éloigne beaucoup au profit de petites saynètes. Ce que l’on peut regretter.
Jusqu’au 11 juil. 2018
D’APRÈS LE ROMAN DE Gustave FlaubertCOSTUMES Macha Makeïeff LUMIÈRES Bertrand Couderc ASSISTANT LUMIÈRES Julien ChatenetSCÉNOGRAPHIE Félix Deschamps ASSISTANT À LA MISE EN SCÈNE Arthur Deschamps ACCESSOIRESSylvie Châtillon ASSISTANTE COSTUMES Claudine Crauland POSTICHES & PERRUQUES Cécile Kretschmar CONCEPTION DÉCORS Clémence Bezat FABRICATION DES DÉCORS Atelier Jipanco
AVEC Jérôme Deschamps, Lucas Hérault, Micha Lescot, Pauline Tricot